samedi 26 novembre 2016

Etape 1 / Sur la route, direction Epernay / Aÿ



Projection de "On the road to Paradise", de Marion Laine aujourd'hui à Epernay, dans le cadre de Courts en Champagne…

De l'art de faire tenir un macho dans un congélo… (Sur la photo: Bruno Blairet & Barbara Bolotner)

mardi 22 novembre 2016

Pas les mains vides

Avec votre permission (et même sans), je vais suspendre quelques semaines l'écriture de ce blog et me retirer (dans l'est, puis dans le sud, puis dans l'est, puis à Lisbonne…) afin de finir la traduction du Jérusalem d'Alan Moore (et perfectionner ma maîtrise des terrines). Mais je ne reviendrai pas les mains vides, foi de cannibale. Voici quelques informations concernant quatre ouvrages à paraître en janvier 2017, si tout se passe bien :



• Hors du charnier natal, mon dernier livre, aux éditons Inculte (le 4 janvier)


"Ayant décidé d’écrire la biographie romancée d’un anthropologue russe – un certain Nikolaï Mikloukho-Maklaï (1846-1888) –, l’auteur retrace le parcours de cet aventurier qui s’exila volontairement en Nouvelle-Guinée et finit par faire l’objet d’un culte étrange. Mais ce qui aurait pu donner lieu à un « petit bijou ciselé » prend vite avec Claro une autre tournure. L’entreprise littéraire vacille sous les heurts d’une voix soudain plus personnelle. S’engageant dans le récit comme si c’était une partie de roulette russe, Claro lâche le mort pour le vif et retourne sans vergogne l’auto-fiction contre elle-même."


Ciment, la structure est pourrie, camarade, une BD cosignée par Viken Berberian et Yann Kebbi, aux éditions Actes Sud (trad. Claro):

Au cœur de la capitale arménienne et de cette révolution architecturale, Yann Kebbi, et l'énergie monumentale de son trait, associé à l'humour absurde de l'écrivain Viken Berberian, dessine un portrait grotesque et terriblement réaliste de notre monde. — “Il faut tout reconstruire, terminés les vieux immeubles historiques, place au renouveau !”



• Animal Machine, d'Eleni Sikelianos, éd. Actes Sud (trad Claro)

Avec Animal Machine, Eleni Sikelianos rend hommage à Melena, sa défunte grand-mère, dans un texte saisissant à la frontière des genres, et raconte l’expérience poétique d’une femme qui a vécu aux marges de la société américaine. Richement illustré, ces mémoires sauvés du désert continuent de tisser le travail mnésique et poétique entrepris l'auteure avec son précédent opus traduit, Le Livre de Jon.





• La Maison des épreuves, de Jason Hrivnak, éd. de l'Ogre, (trad Claro)


Après le suicide de son amie d’enfance, un homme entreprend de poursuivre le carnet dans lequel ils avaient ensemble construit un monde imaginaire et terrible. À la fois lettre d’amour, tentative de rédemption et manuel de survie à nos pulsions autodestructrices, La Maison des Épreuves est un rêve fiévreux à ranger aux côtés de La  Foire aux atrocités de J. G. Ballard et de La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski. 























**** BONUS !!!! ******




Salam says hello


lundi 21 novembre 2016

Hetero Shame

Dans la série "traduisons-le", on a là une belle version de:

"Je refuse de faire fonctionner mon cerveau une seconde de plus, sinon je risque de perdre des électeurs et de m'aliéner les cathos et les réacs, du coup je sors une énorme ânerie (en 2012), et en plus ça passe très bien (en 2016)."

Je me demande juste une chose: comment Fillon peut-il savoir que le mariage homosexuel remet en cause les fondements de notre société? D'où lui vient cette profonde connaissance du péril gay? Est-ce le fait d'avoir grandi dans une petite ville répondant au doux nom de Cérans-Foulletourte? Parfois, il vaut mieux ne pas savoir.

Les "revendications excessives" des traducteurs: mythe ou réalité?

Sur France Culture, vendredi dernier, on a pu entendre une petite discussion sur "la condition du traducteur". Face à Elisabeth Philippe, de Vanity Fair, qui avait déjà exploré la question dans divers entretiens et reportages, il y avait un éditeur pour, suppose-t-on, apporter un autre son de cloche: Florent Georgesco, qui est "critique littéraire au Monde" ainsi qu'éditeur (éditions Plein Jour).

Mais en fait de son de cloche, c'était de l'artillerie lourde. En effet, alors qu'Elisabeth Philippe rappelait les divers problèmes liés au métier de traducteur, qui sont réels même si la situation desdits traducteurs a connu des améliorations certaines, voilà que Florent Georgesco a voulu remettre les points sur les i, mais un peu comme on enfonce des clous dans un vase Ming, et en maniant une langue qui était tellement de bois que j'ai cru un moment qu'il allait annoncer sa candidature aux primaires de l'édition.

Florent Georgesco, qui semble vachement respecter les travailleurs de l'ombre que sont, c'est bien connu, les traducteurs, a tout de suite mis en garde l'auditeur médusé contre une dérive grave et lourde de menaces : étant donné qu'économiquement c'est quand même le marasme, la crise, tout ça, il faut "se méfier des revendications excessives". Oui, car comme tout le monde le sait, le traducteur gagne plus que l'écrivain qu'il traduit, et il est payé la même somme quels que soient les risques encourus par l'éditeur audacieux qui a fait appel à ses services casaniers. Quel planqué, non mais. En plus, ce bougre de traducteur touche un pourcentage sur les ventes – bon, certes, c'est genre un pour cent après amortissement de l'à-valoir, mais bon, ne pinaillons pas. Alors évidemment, s'il se met en tête d'exiger plus – mais quoi? Florent Georgesco ne le dira pas… – il y a abus. Ça devient de l'irresponsabilité économique. Vous suivez? Moi pas. Et Georgesco d'expliquer que tout le monde est hyper précaire dans l'édition, mais que le traducteur, lui, il refuse de faire le gros dos, il exige, il exige, il exige toujours plus ! 

J'avais à peine eu le temps de digérer ces propos ahurissants de connerie que, paf, Fillon remportait la première manche des primaires primitives. Décidément, pour certains, le simple fait de réfléchir avant de parler est en soi une revendication excessive. 





vendredi 18 novembre 2016

Le traitement médiatique des violences faites aux femmes



Source: Magazine Causette

Le (coûteux) bénéfice du doute

Allons, faisons un effort. Accordons le bénéfice du doute à ceux qui semblent n'avoir que faire d'être suspects à nos yeux.

Imaginons que l'homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine n'a pas remis plusieurs valises bourrées de fric à Sarkozy pour l'aider à financer sa campagne. Supposons que Donald Trump ne pense pas vraiment ce qu'il dit quand il explique qu'il faut "traiter les femmes comme de la merde". Partons du principe que David Hamilton est juste une version un peu hot de Bisounours. Ne doutons pas que le gouvernement turc va prochainement libérer l'écrivaine Asli Erdogan.

Maintenant, tant qu'on y est, utilisons à nouveau ce fameux bénéfice du doute et faisons-le fructifier. Imaginons que les médias français vont finir par se pencher sur les révélations de  l'homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine. Soyons assurés que les hommes politiques français aspirant aux plus hautes fonctions de l'Etat ne vont pas tarder à condamner publiquement les propos infâmes de Trump sur les femmes. Ayons confiance en la justice pour ne plus traiter à la légère les accusations de viol. Ne doutons pas un seul instant que le prochain président français fera de la libération d'Asli Erdogan une priorité dans ses rapports diplomatiques avec la Turquie.

Voilà. Je crois que nous avons épuisé les ressources du bénéfice du doute. A moins que ce soit certaines des personnes susmentionnées qui en aient épuisé les pratiques ressorts. A moins que ce soit sur le doute même, son juteux bénéfice, que certains aient assis leurs ambitions, et profitent du flou du doute pour ratisser large. Ce qui est sûr et certain, en revanche, c'est qu'à force de nous prendre pour des donneurs bénévoles de bénéfices du doute, la greffe de confiance est en train de virer à la gangrène. 

jeudi 17 novembre 2016

Commentaire (au précédent post)

"Dylan ne s'est pas rué sur les honneurs, et je dirai à sa décharge qu'en 1969 il était plus facile de refuser l'argent d'un prix que de nos jours où simplement vivre comme avant" coûte trois fois plus cher (minimum). Je vis en-dessous du seuil de pauvreté, c'est majoritairement un choix, donc nulle défense de l'ultra-libéralisme ici, juste un constat."
- (un lecteur du Clavier Cannibale)

La poésie l'interdit absolument


"En 1969, Leonard Cohen a refusé le prix du Gouverneur général pour la poésie avec le motif suivant : 'La poésie elle-même l'interdit absolument'. Le Conseil canadien des arts lui avait décerné le plus prestigieux prix littéraire du pays pour son anthologie Selected Poems 1956-1968." (Stéphane Campbell). No comment.

La badge de la raison 1966


mercredi 16 novembre 2016

L'indésamorçable : Antoine Boute au pays des pornolettristes

Heureusement, de temps en temps, sort un livre signé Frédéric Léal, ou Handschin, ou Antoine Boute, bref des noms que les jurés éclairés des prix littéraires subtils ne doivent pas connaître, trop occupés qu'ils sont par leur quête quasi daltonienne du livre déjà colorié. Aujourd'hui, donc, c'est un peu alléluia, la lit-price-binge est quasi finie 🚷, et on va vous parler du dernier livre de l'indispensable Antoine Boute, un livre qui est un peu la suite de S'enfonçant, spéculer, mais si vous n'avez pas lu S'enfonçant, spéculer, ce n'est pas grave (enfin si, c'est grave, vous m'avez compris), vous pouvez attaquer Boute-Land par son dernier livre, Inspectant, reculer, lequel vous donnera sûrement envie de lire S'enfonçant, spéculer, voyez comme les choses sont bien faites et les méduses plus légères que l'eau.

Antoine Boute, on le sait désormais, est un des rares écrivains-poètes à faire entrer l'expérimental dans le romanesque tour en enfonçant le romanesque dans l'expérimental, une double opération qu'il pratique avec une désinvolture qui est le fruit d'une sacrée pratique. Son personnage récurrent, un certain Freddo, est un écrivain ayant le chic pour s'embringuer dans toutes sortes de situations limites, toujours à l'affût du moindre signe ↹ de poétique sonore hardcore, prêt à donner de sa personne et à proposer à ses sens un voyage hors du réel. Dans le précédent opus, Freddo s'était marié en pleine forêt avec la dénommée Valeria, mais le mariage avait pris des proportions orgiacosmiques un peu fofolles, à la suite de quoi, pfuit! plus de Veronica, ni d'Antoine et Ariane, ses enfants issus d'une précédente 💟 union. Que croyez-vous que fait l'ami Freddo? Il recourt au flair policier de la flamande Karolien, et tous deux s'en vont baguenauder dans les bois pour élucider le mystère de cette triple disparition.

C'est autour de cette trame qu'Antoine Boute arachnéise son livre, et ce avec une volubile folie, emboîtant les poupées décoincées et jouant les ventriloques défoncés. On assiste en fait à une sorte de logomachie: d'un côté Freddo et son enquête, avec ambiance polar truffée de queues de poissons narratives; de l'autre la mystique expérimentale qui est à la fois moquée et travaillée, convoquée et sabordée. Dans les deux cas, c'est une question de cadence, de vitesse; le récit-Freddo est nerveux, bavard, ça cafouille, on parle comme on peut, on baise en parlant, tout ça est affaire de conviction, le rêve s'en mêle sans cesse, c'est jouissif:
"L'enquête avance l'enquête piétine, l'enquête recule: Karolien tente, enquêtant, de reculer dans l'infra-raisonnable de ses tripes pour les mettre en connexion avec cette soupe textuelle spéciale, corsée et sauvage qui se promène désormais dans une bonne partie de son système nerveux."
La "soupe textuelle spéciale", qui semble ici brocardée, ce sont les passages du livres écrits par les enfants perdus de Veronica, des textes-dérives et déconstruits bien qu'innervée par une étrange fluidité:
"De tissus tellement sales lestée, telle l'amène eau, l'humide de ce bois et la pluie me la ramènent, elle, toute entourée de ce tissu, pieds nus et sa chair… Pas même morte ni même lestée de vie, mais emplie en son antre de nos faims"
Le texte avance en tripotant d'autres textes, nos héros apprennent à élargir leur conscience (et se la donnent copieusement), l'exégèse devient partouze, les épiphanies fleurissent comme du mousseron, ça va vite même si on piétine, c'est normal, on marche sur du langage, alors ça crisse, attention à ne pas glisser…

Comment dire? Boute est un magicien décomplexé qui préfère extraire des chapeaux du lapin. Avec lui, on est embarqué, cahoté, aucune intimidation, ça marche à cent à l'heure, c'est salutaire, le texte bat la campagne, défriche, et surtout on rit, le texte rit, la syntaxe se marre, c'est un rire cosmique, un rire chamanique et contagieux. Un conseil ? Suivez celui de Boute:
"Lis ça comme une opération magique de fabrication de petite bombe mentale, petite bombe mentale mise en circulation et indésamorçable, indésamorçable par le seul fait que tu l'aies lu, que tu te la sois prise dans le pif et le système nerveux".
C'est, nous prévient l'éditeur,  un "polar destroy et un manuel de philosophie hardcore". C'est surtout ce qui manque à la littérature française.

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Antoine Boute, Inspectant, reculer, éditions ONLIT, 18 €

mardi 15 novembre 2016

L'assiette fêlée de la traduction

Dans mon précédent post, je citais un peu vite l'incipit de la nouvelle de Fitzgerald, "La Fêlure", en donnant la traduction suivante, signée Dominique Aury :
"Toute vie est bien entendu un processus de démolition."
Pour Marc Chénetier, qui a retraduit Fitzgerald pour La Pléiade, il s'agit là d'un "contresens institutionnalisé" par le temps. En anglais, l'expression est la suivante: "a process of breaking down", ce qui pour Chénetier n'est donc pas "transitif et tourné vers le dehors comme l'impliquerait 'démolition' mais interne, intime". Voici d'ailleurs la traduction qu'il propose:
"Toute vie, bien sûr, au fil du temps, se délabre".

Effectivement, "processus de démolition" pourrait laisser entendre que la vie est une action consistant à démolir "autre chose" qu'elle-même. Mais ce qui est intéressant à noter, c'est que, dans le cas de Fitzgerald, vu le contexte-Fitzgerald, on lit cette formule, presque instinctivement, au sens passif, et qu'on comprend tout de suite qu'il s'agit d'une "auto-démolition". De même, on pourrait très bien imaginer qu'en anglais, le processus consistant à démanteler – " to break down" – s'applique à un élément extérieur, non spécifié, même si, là encore, on comprend que ce qui va faire l'objet d'un "démantèlement", ce sera la force agissant elle-même, la vie.

C'est peut-être le propre d'une fêlure – du fameux "crack-up" – que de rendre impalpable et indécidable la frontière entre l'actif et le passif, comme si une fêlure était un phénomène inhérent à la chose fêlée, comme si la fêlure – béance en devenir, ligne de partage, signature intérieure accédant à la surface… – était à la fois de l'ordre du catastrophique, renvoyant à un défaut, une faille, un échec (on subit la fêlure) et un mécanisme révélateur, dans la mesure où la fêlure, parce qu'elle traverse la matière-vie, met en relief si l'on peut dire ses parties constituantes, ou plutôt les crée, les isole et les distingue, rappelant combien est illusoire la pseudo-cohérence du je. La fêlure ne se contente pas de menacer l'intégrité: elle fabrique aussi du multiple. Elle est, en outre, mouvement.

Alors? Démantèlement? Délabrement? Démolition? Quel que soit le sens dans lequel on le brosse, il n'est pas interdit de penser que la traduction est, à sa façon, une fêlure, un processus permettant de séparer deux états de la matière textuelle, avec d'un côté, avant si l'on veut, un texte entier, mais seulement en apparence, et après, dès l'intervention de la traduction, un texte secrètement fêlé, dans lequel l'on peut lire l'ancien et le nouveau, ainsi que le processus de dédoublement. La traduction pourrait donc être considérée comme une cassure pratiquée dans le texte afin d'en révéler et prolonger la vie organique, donc fragile. Le texte ne peut faire l'expérience de la fêlure que s'il est manipulé, s'il accepte de continuer après la rupture.

Tout texte, bien entendu – bien sûr – au fil du temps – est un processus de traduction – se traduit.

jeudi 10 novembre 2016

A pleine main la fourrure : le texte

Comment lit-on? Que lit-on quand l'œil s'efforce de glisser sur la phrase alors qu'il lui faudrait s'y enfoncer comme un soc audacieux? On prend la phrase comme elle vient, dans son apparente continuité qui dissimule mille ruines. On lit, mot à mot, en idiot rassuré, alors que sous le doigt imaginaire qui suit la ligne ce sont d'autres lignes qui tremblent, des fractures conçues au millimètre par un artisan à l'écoute de ses fièvres. On ne sait jamais ce qu'on va lire, et pourtant on y va, on se laisse entraîner, mais heureusement il se produit parfois autre chose, autre chose que le souple vernis de l'histoire étirée, cadencée, et soudain on devient lecteur, c'est-à-dire spéléologue, on cesse de caresser les reliefs pour humer la tourbe, mâcher le calcaire, se blesser au silex. Non, on ne sait pas lire, et c'est cette ignorance qui nous rend poreux et sensibles. Nous voulons désapprendre notre langue. Non pas gambader bêtement sur le toboggan des vocables mais saisir à pleine main la fourrure de cette bête qui croît à la lumière des terriers. La phrase est là, apparemment écrite, et à peine y avons-nous apposé nos empreintes mentales qu'elle révèle, sous la peau syntaxique, son univers vernaculaire. C'est cela que nous cherchions, cela dont nous avions besoin; non l'assurance d'être rassuré mais l'invitation à l'exil. Derrière la phrase: des corps sous-entendus, des chairs infra-perçus, des instants innervées de pensée, et des perspectives, des fuites, des explosions, des retournements.

Rappelez-vous le début de la nouvelle de Fitzgerald, intitulée La fêlure : "Toute vie est bien entendu un processus de démolition". De même, toute phrase est sous-tendue par des forces qui la minent et le menacent, puisque ce qui est dit en un point du texte devra être éprouvé en la circonférence du texte dans son ensemble, si l'on veut que cette "catastrophe" qu'est la nécessité d'écrire puisse donner, depuis le centre nomade, à entendre son expansion et son explosion dans l'espace ainsi offert. C'est pour ça qu'on relit les livres, pour mieux suivre à chaque fois les déplacement du nœud de conflagration: il change tout le temps. Il explose ici dans le pan de mur jaune proustien, semble fulgurer dans le vert-morve de la mer joycienne, ressort par l'œil du cancrelat kafkaïen, irrigue les veines de boue de la phrase-tranchée de Claude Simon. La fêlure est voyageuse; elle est aussi contagieuse. Sa science ne conçoit que des monstres.

Comment voudrait-on lire? A l'abri des glissements? Loin des effondrements. Chez Guyotat, le corps devient un habitat politique que la phrase décompartimente en cadences ourlées ; chez Genet, c'est une fleur s'inventant mille et une déchirures susceptibles de tester de nouvelles textures rebelles. Chez Perec, on joues à l'échec afin d'irriter la peau du damier et de voir en dessous. Faulkner enfonce sa seringue dans l'impensé. Balzac invente la broderie sanglante (et cicatrise le romantisme). Partout ça travaille, ça défonce, ça renaît. Peu importe le prix à payer. La démolition est technique, donc passion, et la passion propice à la syntaxe.

lundi 7 novembre 2016

La chasse à la sorcière Difficulté

Il est révélateur de voir que certains livres sont qualifiés d'"exigeants", leur lecture "demandant" du lecteur "une participation plus qu'active". Et tout ça est souvent dit avec un moue un peu contrariée, comme si, finalement, un livre ne devait rien attendre du lecteur, et tout donner, avec la générosité d'un bienfaiteur ayant tout intérêt à ce que ceux à qui il fait charité de son talent s'en repaissent sans remuer autre chose que les babines passives de leurs yeux.

La chasse à la sorcière Difficulté ne date pas d'hier, mais il semblerait qu'on veuille faire rentrer le livre, et avec lui une certaine idée de la littérature, dans la grande arène du divertissement.

Le problème, c'est qu'un livre est censé être composé de langage, et que le langage est ce qui structure notre monde, fonde le réel et permet aux autorités de toutes sortes de donner à nos échines la forme servile d'une rampe de lancement à leurs ambitions. Le langage ne nous appartient pas, il est l'air sans cesse renouvelé et en permanence vicié au moyen duquel nous respirons notre rapport au monde, à l'autre. Il nous est donné dès l'enfance comme une pâtée pré-mâchée, assortie de tous ces tendons-propagande et ses nerfs-préjugés, puis continue de nous manipuler et de nous déformer, nous rendant esclaves de ses mots d'ordre et compulsions d'obéissance. La littérature est-elle un contre-pouvoir à cette vaste entreprise de régulation des cerveaux et des corps? Rien n'est moins sûr. En revanche, il est clair qu'écrire c'est s'engager en toute connaissance de cause dans une aventure linguistique, syntaxique, grammaticale, et qu'il est de toute évidence malhonnête de faire comme si on avait juste une histoire à raconter, comme s'il existait une longueur d'ondes inoffensives pour pénétrer la matière du vivant et les forces de la pensée.

Que ce soit la fiction ou la poésie, il s'agit d'entrer par effraction dans une langue donnée, et d'en secouer plus ou moins discrètement les membranes sensibles. La chose est bien entendue vouée à l'échec, elle est même, sans doute, l'échec porté à son point d'incandescence le plus extrême. Mais elle ne saurait se faire innocemment, sous couvert d'un prétendu pacte auto-nettoyant avec le lecteur. Même le plus terne roman de gare porte en lui, sur lui, la marque des compromis de son temps. L'écrivain fait de son lecteur un complice, et comme c'est le cas bien souvent, il arrive que le complice soit berné; il suffit pour cela que le contrat proposé n'ait l'air de comporter aucune perte, et de ne proposer qu'un tranquille profit.

Mais lire, c'est accepter de perdre: perdre de soi, de ses assurances, de ses croyances, de ses poses. Un livre "exigeant" n'exige en fait rien, ce n'est pas un tyran – les tyrans caressent la tête des petits enfants et jouent avec leur chien devant l'objectif… –, s'il exige quelque chose, c'est avant tout l'être entier de l'écrivain, et ce qu'il donne à voir et à ressentir, c'est cette exigence infligée librement à son corps consentant. En l'occurrence, l'exigence dont nous parlons ici n'est un exercice en pénibilité, ce n'est pas une peine, mais un travail, au sens d'un tourment: car il faut vouloir être tourmenté si l'on veut briser la roue et la rouerie du langage. La littérature-ventriloque a beau jeu de se faire passer pour distrayante, alors qu'elle cherche juste à faire de la pensée un réflexe en accord avec les lois consuméristes de la passivité.

L'exigence, puisqu'il faut apparemment en revenir à ce mot, consiste à donner chair ce qui paraît obscur, afin que même à tâtons on puisse sentir que des pulsions, même couchées par écrit, continuent de travailler, de déranger, de réveiller. 

jeudi 3 novembre 2016

Le gagnant du prix Goncourt est…


… Marius-Ary Leblond ! Ah non, pardon, ça c'était en 1909. Enfin, le plus important, je crois, que c'est que personne ici n'a oublié l'œuvre immortelle de Marius-Ary Leblond, n'est-ce pas? Et maintenant, chantons tous en chœur "Au suivant" de Brel…