mardi 31 mai 2016

Traducteurs de tous les pays, révoltez-vous!

Depuis des années, les traducteurs littéraires se battent à feuillets nus pour que soit reconnu leur travail, c'est-à-dire, entre autres, pour que leurs noms soient présents sur la couverture des livres ou cités dans les recensions critiques et les notices bibliographiques. Leur cause a pas mal progressé depuis vingt ans, mais ça résiste encore. Il n'est pas rare de tomber encore sur des éditeurs qui vous expliquent que la charte graphique de leur couverture les empêche de l'encombrer avec votre nom. (C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je signe seulement "Claro", car le gain d'encre et de place est considérable pour l'éditeur.)

Quant aux articles dans la presse, il arrive encore souvent de lire un éloge du style de l'auteur sans qu'un vague lien soit établi avec le fait de la traduction. Très récemment, Olivier Mannoni, traducteur de l'allemand, signalait une notice établie par un festival littéraire, dans laquelle il était précisé que l'auteur avait remporté… un prix de traduction. Hum. Mouais. C'est pas gagné, hein, cette histoire de reconnaissance.

Voilà pourquoi je propose les solutions suivantes – au choix – afin de régler une bonne fois pour toutes cet épineux problème.

1/ Obligation faite à l'éditeur qui refuse de signaler le nom du traducteur sur la couverture de rajouter un bandeau rouge portant, au choix, les mentions suivantes: "Ceci est un faux", "Ce livre s'est traduit tout seul", "Peu importe la langue pourvu que ça soit lu".

2/ Le traducteur pourrait aller en mairie et faire une demande de changement de nom, en proposant d'adopter celui de l'auteur qu'il traduit. Ainsi, il serait assuré de figurer sur la couverture.

3/ L'éditeur ne souhaitant pas faire mention du traducteur sur la couverture devra publier le livre dans sa version originale, en faisant figurer la traduction uniquement en note de bas de page, à raison d'un appel de note par mot.

4/ Les critiques désireux de louer le style de l'auteur mais rechignant à évoquer le nom ou le travail du traducteur devront démontrer que la langue est une donnée transcendantale qui se moque de ses incarnations bassement vernaculaires.

5/ Plutôt que des prix de traduction, on créera des Prix d'Invisibilité, dont on dissimulera soigneusement l'attribution. 

6/ Tout éditeur, critique ou rendeur-compte de traductions qui omettra de signaler le nom du traducteur devra recopier cent fois la phrase suivante: "Petit bout de traduction, quand te dépetit-bout-de-traductionneras-tu? Je me dépetit-bout-de-traductionnerai quand tous les petits bouts de traduction se dépetit-bout-de-traductionneront.

Voilà. Il était temps d'agir. C'est chose faite. Et maintenant que la pluie s'abatte incessamment sur les contrevenants!

vendredi 27 mai 2016

L'écrivain ne fait-il vraiment travailler personne? Coucou le MEDEF !

Récemment, on a pu lire des propos édifiants de Laurence Parisot, présidente du MEDEF, propos visant à expliquer pourquoi elle ne signerait pas l'appel à limiter la rémunération des patrons du CAC 40. Selon elle, certaines catégories socio-professionnelles échapperaient honteusement à ce radar. ET de citer entre autres exemples:
"un écrivain à succès qui empoche 1,8 million de droits d’auteur et qui ne fait travailler personne."
C'est assez amusant, cette façon de considérer le travail de l'écrivain. "Quelqu'un qui ne fait travailler personne." Certes, un écrivain n'a pas la flamboyance débonnaire d'un patron qui fait travailler plein de gens (ou, alternative, en licencie plein…), mais bon, de là à dire que sa place dans la chaîne du travail fait de lui un acteur économique de dimension zéro, c'est un peu poussé.

Je suis loin de toucher 1,8 million de droits d'auteur, mais j'aime à considérer les choses ainsi: je ne suis pas l'employé de l'éditeur, parce qu'en fait c'est presque l'inverse qui est vrai. Du fait que j'écris, mon travail mobilise nécessairement l'embauche de différentes catégories professionnelles afin de transformer ledit travail en livre imprimé, diffusé, vendu, emprunté, photocopié, joué, cité, adapté, etc. Paradoxalement, donc, je pourrais très bien, en poussant le bouchon, considérer que l'éditeur est mon employé.

On me rétorquera que mes livres, comme ceux de la majorité de mes confrères, se vendent peu, donc que nous ne comptons pas vraiment dans la balance. Mais comme nous n'avons pas forcé l'éditeur à nous publier, nous en déduisons naïvement qu'il a jugé nécessaire de nous publier. Ce qui fait que, du moins théoriquement, si nous n'écrivions plus, ledit éditeur se retrouverait au chômage. Ça ne se produit pas ainsi, bien sûr, puisqu'il y aura toujours des auteurs à publier. Mais il n'empêche: mon travail, aussi peu reconnu soit-il, justifie à sa dérisoire mesure l'embauche des nombreuses personnes qui contribuent à faire fonctionner la chaîne du livre. Que la nécessité de nos livres soit toute relative ne les exclue pas de leur poids économique. C'est même précisément parce que leur nécessité est toute relative qu'ils permettent que l'économie du livre soit autre chose qu'une entreprise de traitement objectif de produits.

Chère Laurence Parisot, quand on défend aussi bien que vous les intérêts du patronat, on devrait, je pense, hésiter un peu avant d'utiliser le verbe "empocher" quand on parle des écrivains. Il vous va si bien, alors ne le prêtez pas à n'importe qui.

[Je signale par ailleurs qu'une pétition circule en ce moment sur ce sujet, signé par de nombreux écrivains.]








Tir tendu et enfumage médiatique : a-t-on le droit de se radicaliser?

Face aux violences policières, qui semblent recourir de plus en plus au tir tendu, voir au tir aveugle (comme hier à Nation, avec un beau lâcher de grenade – filmé – au pifomètre en pleine foule… paf, un blessé à la tempe!), il était urgent de faire un point et de battre en brèches les tentatives d'enfumage des médias et du gouvernement, qui brandissent le péril casseur à tout bout de champ (parce que énucléer les passants, hein, c'est quand même plus grave que déchirer la chemise d'un patron…). Bien sûr qu'il y a des violences. Comme à chaque fois qu'il y a contestation assortie de répression. Des violences et des dégradations (rendez-vous compte: des mots à la peinture sur les portes des banques…) Bon, là, ça prend quand même une certaine ampleur (plus d'une dizaine de milliers de grenades balancées…) A qui profite les débordements? Que cachent-ils? Qu'est-ce qui est menacé? Nos acquis sociaux ou les vitrines? Le travail de demain ou les pelouses de Nation?

On vous invite donc à lire in extenso l'analyse remarquable proposée par l'ami-écrivain-éditeur Yves Pagès sur la partie blog de son site archyves.net. Extrait:

"À quoi sert ce dispositif inédit de gestion paramilitaire des conflits sociaux, calqué d’ailleurs sur les manuels coloniaux de contre-insurrection des années 50-60 ? Avant tout, à dégoûter les lycéens de poursuivre leurs blocus incontrôlés, à tarir l’énergie des bastions estudiantins, à apeurer les sympathisants lambda de Nuit Debout et à convaincre les centrales syndicales (CGT & FO) de liquider en douceur leur propre lutte, perdue d’avance à mesure que les journées d’action bi-hebdomadaires épuisent l’enthousiasme et le porte-monnaie de leurs partisans. C’est la tactique habituelle du pourrissement — avec négociations discrètes puis de vagues concessions in extremis pour que personne ne perde la face —, sauf que là ça n’a pas suffi à clairsemer suffisamment les cortèges."
Pour la totalité de l'article c'est ici.

Epoque à Caen: qu'écouter?


Du 27 au 29 mai 2016, la Ville de Caen organise la deuxième édition d'Epoque : le salon des livres qui "éclairent notre temps". Au programme du week-end : quarante débats et performances donnant à entendre la voix de soixante-dix auteurs de fiction et de non-fiction, pour mieux comprendre les enjeux du XXIe siècle. Au centre des échanges, une question : "Faire corps : comment vivre ensemble aujourd'hui ?" A l'honneur : l'ethnopsychiatre et romancier Tobie Nathan.

A cette occasion, je participerai à un débat avec Georges Vigarello, historien et sociologue, auteur entre autres du récent Le sentiment de soi – Histoire de la perception du corps (Seuil). Ce sera dimanche 29 mai à 15h15 dans la salle de réfectoire de l'Hôtel de Ville. Le débat sera animé par Albert Dichy, directeur littéraire de l'IMEC. Alors laissez tomber la sieste, hein.

Ah, j'oubiais, voilà le pitch:

"Recherche d’équilibre par le sport, le yoga ou la méditation, recherche de longévité et de perfectionnement par le recours à la médecine, notamment esthétique... Le moi est aujourd’hui solidement ancré dans un corps auquel est porté la plus grande attention. Cette conscience corporelle est une idée relativement neuve en Europe, comme le rappelle l’ historien et sociologue Georges Vigarello. Le corps a fait l’objet d’une révolution, n’étant plus subi mais maîtrisé.
Il dialogue avec Claro, dont le dernier roman – Crash-test (Actes Sud) – est une variation sur le thème, des années soixante-dix à nos jours : corps accidenté, corps en résistance, corps désirable, corps jouissant... "

Tout le programme complet ici.

jeudi 26 mai 2016

Traduire c'est vider des greniers

Pour un traducteur, les meilleurs dictionnaires sont les livres. Si le sens n'est pas un papillon, alors c'est un moustique, et rien de tel qu'une piqûre de rappel pour s'enfiévrer de ses possibles. Quand on traduit, on est traversé, bombardé par des particules sonores, mais également visité par des bactéries signifiantes, et l'on peine parfois à les cultiver, à les laisser se propager. Rien de tel, donc, qu'une immersion dans d'autres marécages pour refaire le plein de turbulences. Mais comme je crains que ce salmigondis d'images nuise à mon propos, partons en exemple.

Traduisant en ce moment Jerusalem d'Alan Moore, je baigne peu ou prou (plutôt prou) dans le contexte suivant: fantômes, maisonnette obscures, portes dérobées, hallucinations, jeux d'ombre et de lumière, présence énigmatique des objets, etc. Afin de ne pas perdre le fil, et surtout d'enrichir ma pelote (ah, zut, encore des images emberlificotées…), je me permets des excursions, des robinsonnades, bref, j'ouvre d'autres livres susceptibles de chasser sur les mêmes terres.

J'ai donc ouvert, instinctivement, Le Grand Nocturne, de Jean Ray, et ma foi la moisson n'a pas été décevante. Tant d'un point de vue lexical qu'imagé, le texte me fournit des pistes, déploie des échos, j'y glane d'utiles levures. Il ne s'agit pas forcément de mots ou d'expressions que j'ignorais, mais qui n'étaient pas actifs/actives présentement. L'acte de traduire resserre parfois la focale, et il est bon de faire des courants d'air pour que tout reste disponible dans l'air ambiant du cerveau.

Je fais donc mon "marché": je relève le mot "ordonnance" dans l'expression "l'ordonnance des menus"; je profite de cette notation concernant les cercles laissés par des verres sur une table:
"au vernis brûlé par la pipe et le cigare et marqué par les rondes épures d'anciens verres et de bouteilles."
Cet "épure" est précieux. Et que dire de "des chaises massives gonflées de cuir de Cordoue"? Voilà un usage de "gonflé" qui peut servir, c'est sûr. Je picore ici le mot "souvenance", là celui de "arrière-façade". Je retiens cette "eau brumeuse", elle servira sans doute, tout comme ces "céramiques irisées". Tant qu'on y est, empochons aussi ces "flacons pansus". Ah, j'allais oublier, il me faut absolument ce "brasillement".

Pour le traducteur, par une curieuse malice optique, se concentrer, c'est avant tout se diffracter. Il lui faut chercher ailleurs les mille et une calories verbales qui manquent à son esprit par trop tendu. Mais où ? par quelle méthode? Oh, le cerveau humain est ainsi fait qu'il guidera votre main vers le bon volume au bon moment. Sérendipité, ô concordance des temps.

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Réference: Le Grand Nocturne, de Jean Ray, Actes Sud-Babel

mardi 24 mai 2016

Les rendus de lecture qui tuent


J'aime bien ton livre mais tu peux finir de le colorier steuplaît.
J'ai pas compris pourquoi les personnages coulaient comme du camembert trop fais à la page huit.
C'est bizarre mais tes descriptions donnent envie de se renseigner sur la fabrication du napalm.
Ce qui me gêne dans tes dialogues, c'est que le tiret semble vouloir continuer pour barrer ce qui suit.
J'adore le début de ton livre mais j'arrive pas à le trouver.
Il y a des passages magnifiques mais si on est pas toi on peut pas le savoir.
Ta maîtrise de la syntaxe me rappelle le modus operandi d'un serial killer avec son nom sur un badge.
J'ai beaucoup aimé les remerciements.
C'est normal que le récit meurt au chapitre 2 et qu'au chapitre 3 les condoléances soient discrètes?
 La scène entre le problème de narration et le défaut de structure est criante de vérité.
Tu as bien fait de le paginer.
C'est exprès que tu as employé des mots dont tu croyais connaître le sens?
A ta place, je me renseignerais sur les débouchés du suicide.
Je pense que tu devrais réécrire les scènes de sexe, même s'il n'y en a pas.
J'aime bien tes allusions à Stendhal mais ça fait tache.
Pourquoi la fille dit-elle à la mère que son père est le mari de la femme à qui elle parle page 212?
J'espère que ton éditeur a d'autres moyens de subsistance.
C'est normal que les émotions de tes personnages soient toutes dans le catalogue Ikea ?
La fin est superbe. En plus, fallait oser la mettre en page 32.
Le problème, c'est que quand tes personnages répondent, on décroche.
Mon sentiment c'est que ton nègre est mort dès la page de titre.
J'ai déjà lu ton texte, je crois, et pourtant je ne suis pas allé à la décharge depuis longtemps.
Je sens l'influence de Proust. De Joyce. De Musil. Et de Cervantès. Mais pas dans ton texte.
Tu viens d'écrire le premier vibro-roman en panne de l'histoire de la littérature érotique. Bravo.
Ton héros me rappelle un voisin de palier dont j'ai oublié jusqu'à l'anonymat.
C'est normal que toutes tes métaphores se comportent comme des produits détergents?
La scène où le narrateur comprend qu'il écrit mal est hyper crédible.
Tes adjectifs sont tellement discrets qu'on dirait des adverbes.
Le dénouement serait plus subtile si ton récit avait moins une tête de nœud.
Ton texte est trop violent, surtout au niveau grammatical.
J'espère que tu ne révèles pas ton adresse en même temps que le nom de l'assassin.
Le mieux c'est que tu dises à l'éditeur que c'est de la science-fiction.
Le problème, c'est que tes paragraphes n'ont pas l'air de se connaître.
Si c'est l'intention qui compte, ne remets pas d'encre dans ton imprimante.
Tu te relis avant d'écrire?

Le lecteur, tel un sarcopte creusant des sillons dans sa peau de vieille lumière

© Natalia Dumitrescu
Il existe une espèce de confrérie secrète des chefs-d'œuvre méconnus. Ils n'aspirent pas tant à la lumière qu'à l'infiltration délicate de cercles de lecteurs attentifs, qui se les passent sans bruit, portés par la conviction de détenir non seulement un perle rare, une pièce maîtresse, mais également une part de mystère, un élément secret dans un édifice à jamais dispersé. A l'ombre des mastodontes reconnus et comblés de gloire, ces livres creusent des tunnels, déforment les poches et surnagent sur les piles. On pourrait citer, parmi des dizaines, Lithium pour Médée, de Kate Braverman (éd. Quidam), Aventures dans l'irréalité immédiate, de Max Blecher (Nadeau, puis L'Ogre), La montagne morte de la vie, de Michel Bernanos, Simples mortels de Philippe de la Genardière (Actes Sud/Babel)… Ce sont bien sûr des palmarès personnels, d'autant plus intimes qu'on en hérite à la faveur d'amitiés, de rencontres.

Il y a peu, de passage à Pau, le libraire, voyant que je tournais autour du dernier livre de Mircea Cărtărescu, paru chez POL, attira mon attention sur un précédent ouvrage du même auteur, disponible en Folio SF. J'hésitai un peu – mais pas longtemps: hésiter devant un libraire revient presque à lui manquer de respect. Je n'avais pas lu de "SF" depuis un bail, et me demandais bien pourquoi le libraire voulait que j'achète ce poche plutôt que la pimpante nouveauté parue chez POL. Mais comme j'ignorais tout de l'auteur, sinon qu'il était roumain et comparé à Borgès, je me laissai convaincre.

J'ai appris depuis que ce livre – Orbitor – était le premier volume d'une trilogie, parue chez Denoël. Tant mieux. Je ne sais pas ce que valent les deux autres pans de cette cathédrale, mais je suis bien obligé de reconnaître que ce jour-là, le libraire palois – appelons-le Nicolas, et imaginons que sa librairie s'appelle L'Escampette – m'avait bel et bien refourgué de l'or, que dis-je? de l'uranium!

Comment vous en convaincre? Eh bien, en faisant ce que font ces livres rares et si souverains que la gloire ne leur est même pas nécessaire pour infuser leur prodigieux venin dans nos cœurs. En vous recopiant l'extrait suivant, qui devrait déclencher chez vous ce cher stimulus appelé à vous ruiner: l'achat imminent.

C'est parti – admirez la langue du traducteur, qui a dû trimer/jubiler…
"Et aujourd'hui, alors que je suis au milieu de l'arc de ma vie et que j'ai lu tous les livres, y compris ceux qui sont tatoués sur la lune et sur ma peau et ceux qui sont écrits à la pointe de l'aiguille au coin de mes yeux, alors que j'en ai assez vu et eu, que j'ai systématiquement déréglé tous mes sens, que j'ai aimé et haï, que j'ai érigé des monuments d'airain impérissables, que j'ai attendu sous l'orme le divin enfant en mettant longtemps à comprendre que je n'étais qu'un sarcopte creusant des sillons dans sa peau de vieille lumière, alors que les anges peuplent mon cerveau tels des spirochètes, que j'ai goûté à toutes les délices du mode et qu'avril, mai et juin s'en sont allés, aujourd'hui, alors que sous l'anneau ma peau se desquame en millier de feuilles de papier bible, aujourd'hui, en ce vivace et absurde aujourd'hui, j'essaye de mettre du désordre dans mes pensées et de lire les runes des fenêtres et des balcons pleins de linge humide de l'immeuble d'en face qui a coupé ma vie en deux, pareil au nautile qui mure chaque compartiment devenu trop petit pour lui et va se nicher dans un autre, plus grands, sur la spirale de nacre qui résume sa vie."
Voyez comme la phrase elle-même adopte l'organique vivacité du nautile. Ainsi va toute lecture, poursuivant une spirale aux impulsions savantes et nécessaires, vivant le refuge comme une aventure, inventant les formes à mesure qu'elles naissent et renaissent.

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Mircea Cărtărescu, Orbitor, traduit du roumain par Alain Paruit, Denoël, puis Folio SF

Accessoire indispensable


vendredi 20 mai 2016

Festival guerrier

Difficile de lire aujourd'hui la Batrachomyomachie sans regarder dehors, là où ça chauffe. Longtemps attribué à Homère, ce texte parodique a traversé les siècles – plus d'une vingtaine, à la louche – et ne semble pas prêt de désarmer. Prisé de Leopardi, qui l'a traduit en italien, et de Leconte de Lisle, qui en fit une version française, cette "bataille des grenouilles et des rats", longue de trois cents et quelques hexamètres dactyliques, emprunte à Esope tout en rejouant la fureur de l'Iliade. Une nouvelle traduction nous est proposée aujourd'hui par les éditions Hélice Hélas, signée Bertrand Schmid, qui s'est visiblement bien amusé et a fait assaut d'inventivité lexicale et vernaculaire pour restituer à ce texte sa truculence — n'hésitant pas à chaparder Tolkien, histoire de "changer d'inclinaison". 

L'histoire est simple comme la guerre. Une grenouille aide un rat à traverser un étang, mais en cours de patauge un accident survient, le rat choie, se noie; la nation des rats s'offusque, déclare la guerre, s'arme "de patte en cap" — les grenouilles, elles, s'arment de "cap en nageoire". Echarpage garanti.:
"A la vue de Sculptegraillon, Ciboule prit peur, s'enfuit au plus fort et s'élança dans l'étang, débarrassé de son bouclier. Puis le vaillant Courmarmite tua Embuée d'un coup de pierre au front; son cerveau coula de ses narines et de sang s'engraissa le guéret."
Pendant ce temps, à Olympe-City, les dieux devisent en se tripotant pour ainsi dire le 49-3. Ils finiront par intervenir en envoyant des créatures très particulières, semblables à celles qui, chaque jour ou presque ces temps-ci, cognent tout ce qui cherche à rester debout :
"Dos de mailles, pinces tordues, démarche latérale, bigleuses, bouches coupantes, peau de pierre, osseuses, râblées, épaules luisantes, pieds évasés, tendons en guise de mains, vision pectorale, huit pattes, deux cornes, infatigables…"
Et l'auteur de conclure:
"Le soleil plongeait déjà."
Comme on le voit, la technique de "ratissage" ne date pas du dernier déluge. La Batrachomyomachie n'est peut-être pas appelée à devenir le petit livre orange de demain, mais sa lecture réjouissante devrait nous aider à sourire un peu avant de retourner au charbon des rues.

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La Batrachomyomachie, traduction nouvelle de Bertrand Schmid, illustrations de Victoria Suppan, Hélice Hélas Editeur, 8 €

vendredi 13 mai 2016

Comme ravi, en extase et délivré de toutes pensées

"Regardez. La fumée s’évade de la valve de vos lèvres et s’en va souiller de son gris bleuté cet air dont vous aviez oublié la magie ; vos entrailles brassent un charbon au goût amer mais que vos sens imaginent tonique ; vos yeux ne sont plus que des obturateurs rayés par l’ennui. Il y a désormais, entre vous et la substance qui vous ronge, une complicité fondée sur un souci commun : combien de temps encore ? Quand la dose de votre être sera épuisée, où en refaire provision ? Suis-je épuisable ? En quel jour de la semaine puis-je me réincarner si en moi piétine l’affreux dimanche de l’inertie ? Vos doigts caressent l’arête de la table, avancent entre les débris de la veille, trouvent le shilom  : ça va aller."
(extrait d'un livre à paraître…)

lundi 9 mai 2016

L'Ogre à la Manœuvre


Les éditions de l'Ogre
s'invitent à la Manoeuvre



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Librairie- La Manoeuvre
Mercredi 11 mai à 19h00
58, rue de la Roquette (75011)








"A peine créée, la jeune maison d'édition a déjà sa place sur les étagères de la librairie. Osés, fantasmés, imaginés ou poétiques, les romans de l'Ogre sont un bol d'air dans l'édition française." (le libraire manœuvrier)

Soirée exceptionnelle avec les éditions de l'Ogre, en présence de leurs auteurs : Claro, Lucie Taieb, Maurice Mourier, Quentin Leclerc — et bien sûr leurs éditeurs, Benoit Laureau (sans accent circonflexe sur le i de Benoit, merci de votre compréhension) et Aurélien Blanchard (sans accent circonflexe non plus, mais là ça va sans dire). Toute personne qui repartira sans avoir acheté un livre de l'Ogre sera obligé de lire à voix haute trois pages du dernier Foenkinos. Alors réfléchissez bien avant de jouer les pingres.

On discutera (un peu), on lira (sans doute) et on festoirra (plus que certain).


Pour en savoir plus sur les éditions de l'Ogre, c'est ici.

Et déjà les prochains titres:







lundi 2 mai 2016

Surveillance mode d'emploi



Juste pour vous informer de la parution prochaine (11 mai) d'un ouvrage collectif auquel j'ai apporté ma petite contribution. Intitulé Surveillances, et publié par publie.net, ce livre réunit douze auteurs ayant eu pour mission, si vous l'acceptez, consistera à rédiger un texte sur la notion de surveillance – comme toujours, si vous ou l'un des membres de votre unité était pris ou tué, l'agence niera avoir connaissance de vos activités… Hum. Pardon.

Voici l'argumentaire rédigé par l'éditeur afin que vous vous fassiez une petite idée de ce qui vous y attend :

"Fut un temps où la sauvegarde de nos vies (sauvegarde au sens informatique qu’on lui prête aujourd’hui) était l’apanage des artistes, et notamment des écrivains. Mais, à l’heure de la surveillance de masse, des réseaux sociaux et des algorithmes invasifs, si nos vies sont suivies en temps réel, serons-nous encore capables de les écrire ? Née dans un contexte sécuritaire particulier où, de New York à Paris, sous prétexte de lutter efficacement contre le terrorisme, l’état d’urgence est devenu la norme, cette question nous concerne tous.

Parce que la pratique de l’écriture se heurte tout particulièrement à ces enjeux, et dans le prolongement d’un symposium organisé en novembre 2014 dans le cadre du Festival du Film de Lisbonne sur le thème « Créateurs et surveillance », Céline Curiol et Philippe Aigrain ont invité dix écrivains contemporains à donner corps à cette question.

D’Orwell à Amazon en passant par les drones espions, Noémi Lefebvre, Christian Garcin, Marie Cosnay, Céline Curiol, Claro, Carole Zalberg, Bertrand Leclair, Miracle Jones, Cécile Portier, Isabelle Garron, Catherine Dufour et Philippe Aigrain s’en remettent à la fiction et au langage pour nous ouvrir les yeux."

Et en prime, un petit extrait de mon texte, intitulé "Hadès n'en réclame pas moins ses rites":
"Ça t’embête de me prêter la vidéo de ton dernier anniversaire ? Je sais jamais quelle tête faire quand c’est une surprise. 
Ces scènes de tortures ne sont pas crédibles. Recommencez-les. Et pensez à activer le micro, cette fois-ci. 
Comment tu le sais ? Non, je déconne. 
« Un trop grand silence me paraît aussi lourd de menaces qu’une explosion de cris inutiles. » Google ? Non : Sophocle. 
Grâce à MappyMemory TM, suivez le trajet de toutes les fois où vous vous êtes perdu. 
La caméra S34 du Caveau B12 est un vieux modèle. On a du mal à voir les os sous la peau. 
T’étais où ? Et ne me dis pas que le petit point bleu au deuxième étage de ton lycée, c’était toi, hein. 
Je te vois quand tu penses que tu es seul avec nous tous."
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Surveillances, Collectif, 172 pages, 16€ prix papier, 5,99€ prix numérique — sortie le 11 mai