lundi 31 août 2015

Cordelia la guerre: la folie Cosnay


Bonjour les gens qui lisent ! Le Clavier Cannibale est de retour ! Aujourd'hui, si vous le voulez bien, nous allons commencer par un des meilleurs livres de la rentrée (sans doute) avec Achab (séquelles) de Pierre Senges (sûrement). En ce lundi encore d'août mais déjà terriblement septembrisien, penchons-nous à en tomber sur le dernier livre de Marie Cosnay !
 Avec Cordelia la guerre, Marie Cosnay ne se contente pas d’offrir une version moderne du Roi Lear de Shakespeare et d’en faire un polar jouant avec la geste épique. Elle invente surtout une narration très particulière, fondée sur une écriture qu’on pourrait presque qualifier de dodécaphonique tant elle semble s’être affranchie de la gamme grammaticale ordinaire. Il en résulte un point de vue à la fois omniscient (quasi démiurgique) et totalement décalé (pulsation poétique), comme une sorte de « distance impliquée » qui n’est pas sans rappeler le récit pasolinien de Théorème.
En effet, dans le récit mis en place – et sans cesse déplacé – par Cosnay, des forces indéterminées sont à l’œuvre, soit qu’elles aient partie liées à des personnages ou des groupes encore obscurs, soit qu’elles ressortent tout simplement d’instances invisibles, magiques. Et dans la forêt des protagonistes qui peuplent le livre s’agite parfois un on ou un nous qui dessine un collectif où le lecteur a tout loisir de s’introduire. Mais revenons à l’écriture-cosnay, une écriture syncopée qui ne cesse de perturber ses palpitations syntaxiques pour mieux faire monter la fièvre qui s’est emparée de l’histoire/Histoire :
« Elle ne racontera pas, elle est fatiguée. Les gens lui jettent un coup d’œil, il semble qu’elle porte sur le visage une sévérité qui éloigne. Que ce soit clair. Sévère et agacée. Elle se lèverait (tremble de froid, n’a pas la force), pantominerait quelque chose de tout à fait grotesque et emporté qui dirait leur fait à ceux qui la regardent et à ceux qui ne la regardent pas. Tous également son dégueulasses. Mais la plus dégueulasse, c’est elle-même. Grimace à n’en plus finir. »
La phrase, on le voit ou plutôt on l’éprouve, avance en faisant des écarts, elle se contracte puis se dilate, forme comme des bulles (les parenthèses), puis allonge la foulée avant de se contracter à nouveau, jusqu’à devenir quasi tronquée, nominale. Et ce qu’on peut constater au niveau de la phrase est aussi vrai du récit dans ses mouvements aheurtés, ses cadences croisées. C’est moins Le roi Lear qui est ici réécrit que les ressorts de la tragédie : le fameux fatum sans cesse torpillée par l’entêtement humain.
On peut bien sûr s’attacher aux trames de Cordelia la guerre – conflit civil, trafic, jeux d’influence, révoltes, crues, explosions, kidnapping, séquestrations, exécutions, revirements… – mais ce qui en constitue la matière irradiante c’est bel et bien son écriture à la fois inquisitrice (tout explorer, douter de tout) et extatique, puisqu’à tout instant l’enquête policière se fond dans la vision, la pure perception, opérant ainsi un renversement permanent dans la lecture, une apocalypse discrète :
« La fille aux cheveux de feu nous quitte. Sur son visage, si pâle, un drap est posé. La terre, par poignées, on la jette sur elle. »
Cordelia la guerre est un livre éminemment inquiet – autant par sa bouleversante théâtralité que par son entêtement poétique à sonder et faire résonner tous les motifs. Profondément singulier parce que courageusement pluriel, il risque de rendre risibles et vains nombre des livres qui paraissent en cette rentrée.

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Marie Cosnay, Cordelia la guerre, éditions de l’Ogre, 21 €

mercredi 26 août 2015

Retour prévu lundi 31 août. Pour parler de Proust, mais seulement pendant un an, et d'autres choses aussi.