lundi 11 mai 2015

Au pays des phobies avec Claire Legendre


De même qu’un paranoïaque peut tirer jouissance de la confirmation de ses craintes, l’hypocondriaque se voit en quelque sorte rassuré par la découverte d’un mal réel. Mais les phobies et les peurs, les angoisses et les répulsions, se nourrissent avant tout d’elles-mêmes et fonctionnent paradoxalement comme une hygiène de vie, une façon de se protéger d’une réalité nocive qui pourtant tarde à se manifester. Le malade imaginaire préfère avoir un coup d’avance, même si ce coup, c’est lui qui se le donne. C’est cette condition ambiguë qu’étudie et met en scène Claire Legendre dans Le nénuphar et l’araignée, allant d’emblée jusqu’à formuler l’hypothèse suivante :
« L’hypocondrie serait donc, ironiquement, le probable symptôme d’une quiétude objective. »
C’est donc à une sorte d’autobiographie des peurs que se livre l’auteur, qui a choisi ici de se raconter à travers ses phobies. Phobie des araignées, de la mort programmée, de la grippe A, de l’abandon, du vide, de l’avion, etc. Mais Legendre, qui ne manque pas d’humour ni d’autodérision, évite les écueils narcissiques en réfléchissant sans cesse aux sens caché de la phobie, à sa cruelle nécessité, à ses ruses aussi. Sa vie, elle la sait menacée par des chimères, certes, mais ces chimères sont comme des ombres portées par des événements bien réels. Une rupture amoureuse, la mort d’un proche, la découverte d’un nodule – à chacun de ces drames correspond un dérèglement du corps, qui par empathie pour la réalité blessée, va pour ainsi dire épouser son parcours heurté, et prendre sur soi le poids injuste du malheur épars.

L’hypocondriaque donne l’impression de ne pas s’intéresser aux souffrances d’autrui, mais comme l’explique Legendre, c’est parce qu’il lui faut se protéger d’une empathie trop intense, qui lui serait fatale. Comme si l’hypocondriaque était un buvard fragile, que la moindre tache extérieure risque de rendre à jamais imprégné, et donc propice aux déchirements.

Legendre construit son livre part courts chapitres, comme autant d’étapes en apparence exotiques les unes aux autres, balisant ainsi ce chemin qui mène de soi aux autres alors que tout fait obstacle, et que les peurs augmentent à proportion de l’immersion sociale. Le récit convole ainsi avec l’essai, le souvenir avec la réflexion, dans une danse légère, au gré d’une écriture fluide et généreuse. Par un effet de parallaxe, la conscience de la mort, de sa possible imminence, permet de mieux saisir l’importance de cette activité en apparence vaine : écrire :
« La vie, je veux dire la consistance de la vie, est toujours désespérément moins importante que la forme que je peux lui donner, ou qu’elle semble prendre en tant qu’histoire. Etait-elle intrinsèquement médiocre ou l’est-elle devenue parce que je m’acharne à la regarder comme un schéma narratif ? »
Vivre ou écrire ? Lire ou écrire ? L’auteur doit choisir sans cesse, c’est une question de simple survie. Mais écrire n’est pas seulement une façon de fuir le monde :
« J’écris pour te pénétrer, toi lecteur, et c’est ma revanche sur la physiologie. »
La peur de l’invasif, de la contamination, du corps étranger trouve ainsi son pendant inversé dans l’écriture, qui se veut « pénétration ». On aimerait alors avancer que dans cet équilibre gît peut-être une forme d’harmonie. Une vie nénuphar ?

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Claire Legendre, Le nénuphar et l'araignée, Les Allusifs

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