mercredi 31 décembre 2014

Irrégularités


Je me demande si étaler un délicieux beurre salé sur de fraîches et croustillantes tartines est aussi plaisant dès lors qu'on est menotté dans un cachot humide.

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Le saut à la perche en épate plus d'un. Mais soufflez dans la paille qui dépasse de votre cocktail et vous verrez bien des regards se tourner vers vous.

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Un suicide parfaitement exécuté et brillamment réussi suppose une inventivité et une énergie que le désespoir, hélas, rendrait suspectes.


— Aymeric Bouvillard

mardi 30 décembre 2014

Soustraction

Il faut toujours avoir chez soi des couteaux dotés d'une lame émoussée. Les personnes diminuées d'une phalange ou plus me comprendront. Les légumes, eux, ne verront pas la nécessité de s'en plaindre.


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Je n'ai jamais compris pourquoi j'étais barbu. C'est encore, à ce jour, une énigme absolue. Me raser relèverait du déni. Ma barbe pousse donc comme si de rien n'était, et je la suis, docile mais intrigué - un vrai blaireau, en somme.

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"L'impuissance sexuelle: mythe ou réalité?"annonçait le panneau. Le conférencier fut étonné de voir le public masculin quitter massivement la salle à la moitié de sa communication.

— Aymeric Bouvillard

lundi 29 décembre 2014

Géométrie comestible

"Les formes géométriques pures n'étant pas le fait de la nature, j'estime que les tranches de jambon excessivement rectangulaires prouvent de façon incontestable l'inexistence du cochon. Concernant la vache-qui-rit, comme on le sait triangulaire, chacun procédera aux déductions qui s'imposent."
— Aymeric Bouvillard

vendredi 26 décembre 2014

Langue à part

"Supposons qu'un jour possiblement prochain on parvienne à déchiffrer avec une exactitude absolue le langage des animaux. Comment saura-t-on si le lama, même sans penser à mal, ne ment pas?"
— Aymeric Bouvillard

jeudi 25 décembre 2014

Vol en plein air

"Je me suis souvent demandé pourquoi, dans les avions, à la différence des trains, tous les sièges étaient installés dans la même direction, qui plus est orientés vers l'avant. Puis j'ai compris: étant donné le prix des places et l'espoir placé dans le dépaysement, on ne saurait contraindre une partie des voyageurs à éprouver le désagréable sentiment de reculer."
— Aymeric Bouvillard 

mercredi 24 décembre 2014

Echonomie


 "Le problème avec les églises, c'est que si jamais, d'aventure, on y pousse un cri impie, la chose déclenche une telle cascade d'échos que l'intention sacrilège perd aussitôt de sa crédibilité. Même les angelots en plâtre semblent rosir. Il y a fort à parier que, si on pissait dans le bénitier, notre urine se changerait en or. Autant fréquenter les gymnases."
— Aymeric Bouvillard

mardi 23 décembre 2014

Court long court

"Force est de convenir qu'un aphorisme n'est percutant que si, en plus d'être pertinent et subtilement tourné, il s'en tient à une certaine brièveté. Un éclair qui s'attarderait dans le ciel serait certes moins impressionnant. Mais il n'en est pas moins que l'aphorisme laisse sur sa faim et que bien souvent on ne le publie pas isolément mais en compagnie d'une foultitude d'autres aphorismes. C'est la preuve selon moi que tout un chacun rêve en secret d'un interminable aphorisme, avec digressions, rebondissements, etc. D'un éclair long comme une fêlure définitive."
— Aymeric Bouvillard 

lundi 22 décembre 2014

Chimères

"Imaginons qu'un jour nous apprenions de façon irréfutable que tous les êtres décrits par la mythologie ont bel et bien existé. Qu'ils étaient de chair et de sang, en rien des chimères, que les cyclopes allaient et venaient, que les licornes gambadaient et ruaient véritablement, que les dieux de nos recueils d'enfance avaient pignon sur rue? Imaginons tout cela sans oublier toutefois qu'ils ont tous fini, pour des raisons qu'on s'explique mal, par disparaître complètement. Je crois qu'on serait extrêmement déçus. C'est décidé: arrêtons ces fouilles archéologiques qui ne sauraient mener qu'à la plus agaçante des frustrations"
— Aymeric Bouvillard

vendredi 19 décembre 2014

Pas Stendhal


"J'ai toujours pensé que Stendhal était un très mauvais, un très médiocre écrivain, guère plus doué dans sa partie que le plus navrant tâcheron contemporain. Mais comment le prouver? Comment m'y prendre pour en faire l'éclatante et fatale démonstration? Il me faudrait pour cela passer des heures en sa détestable compagnie, le lire, l'annoter, m'assurer à chaque instant que mon entreprise ne respire pas la mauvaise foi. Et surtout, à quoi bon? Réussirai-je seulement à convaincre un farouche stendhalien de la nullité littéraire de son idole? Et quand bien même j'y parviendrais. Quelle fierté en tirer? Non, autant garder ce secret pour moi. Stendhal ? Oui, même si on n'aime pas, reconnaissons que. (Sous cape, je déchire et mâche des pages du Rouge et le Noir.)"
— Aymeric Bouvillard

jeudi 18 décembre 2014

Cavale






"Un cheval, un vrai cheval, vivant et lustré, ferait belle impression dans mon salon, mais il paraît que leur phobie des ascenseurs déclenche chez ces animaux la sécrétion d'un fluide qui les rend vite nauséabonds. "Nauséabonds": ce seul mot dissuade toute tentative dans ce sens. Mais je n'oserai jamais lui proposer l'escalier de service. De là ce hamster qui hélas ridiculise toutes les pièces où il s'aventure."
— Aymeric Bouvillard

mercredi 17 décembre 2014

Feu le feu





"Déclencher un incendie est d'une fatalité déconcertante. Une allumette y suffit. Ou un briquet. Mais si l'on ne possède ni allumette ni briquet, la tâche se révèle soudain ardue, voire quasi impossible. On renonce très vite, alors. Comme quoi, on n'avait pas vraiment une âme de pyromane. Du feu? Non merci, je ne fume plus."
— Aylmeric Bouvillard

mardi 16 décembre 2014

L'ampoule

"Il y a je trouve quelque chose d'arrogant chez l'ampoule mais je serais bien en peine de dire quoi. Ça n'a rien a voir avec sa forme et ce n'est pas non plus lié au fait qu'elle soit tantôt allumée tantôt éteinte. Peut-être est-ce dû à son nom? Mais il est plus facile de changer une ampoule que d'en changer le nom. D'ailleurs, nous passons souvent un temps bien trop long dans le noir ou la pénombre avant de nous décider à faire l'acquisition d'une nouvelle, comme si nous craignions de la vexer en lui prouvant que grillée elle est inutile, alors qu'elle passe des heures éteinte sans qu'on lui fasse le moindre reproche. Mais je me pose sans doute les mauvaises questions."
— Aymeric Bouvillard

lundi 15 décembre 2014

Loto fictif

--> "Je me suis longtemps demandé ce que je ferais si je gagnais au loto. Claquer tout en quelques mois ? Investir sagement? Distribuer aux nécessiteux? N'en parler à personne? Et puis voilà que c'est arrivé, sans crier gare. Je n'ai même pas eu à jouer, à parier, à cocher. J'ai trouvé le billet dans la rue, le numéro était gagnant, j'ai touché le gros lot dans la foulée. Pour l'instant, je n'ose en dépenser un centime. Chaque fois que je suis sur le point de le faire, je pense à la personne qui a perdu ce billet de loto et qui ne sait même pas qu'elle pourrait être riche. Je me dis, sans doute à tort, que tant que je ne touche pas à ma fortune impromptue, cette personne n'est pas lésée. Faire le bien me coûte donc quatre millions d'euros. Heureusement cette somme, à la différence de l'amour du prochain, n'est pas imposable."
— Aymeric Bouvillard

vendredi 12 décembre 2014

Le Clavier Cannibale: bilan et perspective – une diachronie nécessaire, with a touch of ragondin

Oups, j'allais partir sans faire de bilan. Vous le savez, en fin d'année, les blogs et autres supports de la parole libérée (lol) aiment s'adonner au jeu du bilan. Ou le font en début d'année, selon l'énergie de leur propriétaire. Bref, on dresse des listes, on concocte des palmarès, on rappelle les faits marquants.

Le Clavier Cannibale est évidemment très tenté de se livrer à ce rituel, ne serait-ce que pour le plaisir de se livrer à un rituel. Que s'est-il passé en 2014 de notable? Dans le monde des lettres, bien sûr, pas au niveau politique, même si on sait désormais grâce à Sarkozy que donner des conférences au Qatar peut rapporter gros. Non, dans le monde des lettres. Ah —  enfin une bonne nouvelle : Eric Reinhardt a eu le prix France Télévision. Depuis le temps qu'il courait après les prix… A la fois, un prix littéraire comportant les mots "télévision" et "France", comment dire… Bref, on espère qu'il est content. Arf.

Quoi d'autre de mémorable depuis septembre ? Une maison d'édition baptisé l'Ogre s'est créée, qui va rééditer l'immense Max Blecher début janvier. On dit bravo. Ismaël Jude a publié son premier roman, et c'est un livre qui parle véritablement de sexe de façon véritablement transgressive – lisez donc si ce n'est pas fait Dancing with myself. Laure des Accords a publié aussi un premier roman, L'envoleuse, qui est juste une merveille, et c'est chez Verdier puisque vous me le demandez. Et oui c'est ma sœur. Autre événement paraît-il notable: Modiano a eu le Nobel, mais bon, relisez deux pages de Claude Simon et on parlera littérature après si vous le voulez bien. 

Ce blog a causé (en bien, en très grand bien) des écrivains suivants (depuis septembre, hein, je ne vous fais pas le bilan santé de l'année, ça serait trop long): G. Mar, Ismaël Jude, Max Blecher, Huysmans, Hermann Broch, Egon Bondy, Danielewski, Alessandro Mercuri, Frigyes Karinthy, Philippe Annocque, Bernard Simeone, Olivia Rosenthal, Isaac Babel, Eric Chevillard (que personne ne lit, dixi Bergé), Antoine Volodine (que personne ne lit, dixit Jérôme Garcin), Pierre Bourgeade, Yann Legendre (que personne ne lit non plus mais là c'est normal puisqu'il est graphiste), Antoine Boute, Chalamov, Jurgenson, Tavarès, Guy Robert, Paul Harding, Pierre Demarty, William Gass, Jouannais… J'en oublie, c'est évident, mais tout est en ligne, vous compléterez vous-même.

Le Clavier Cannibale a parlé conséquemment des éditeurs suivants, qu'on salue bien bas : le grand os, quidam, verticales, l'ogre, l'arbre vengeur, la contre allée, verdier, le bruit du temps, textuel… Que ceux que j'oublie, et ils sont nombreux, me lynchent (mais n'hésitez pas à m'envoyez des SP, please, parce que je suis en train d'exploser mon budget livres…).

Le Clavier Cannibale a beaucoup ricané en lisant les auteurs suivants, ou en découvrant leurs exploits faramineux dans la presse, et leur décerne à chacun le Bidet d'Or 2014: Yves Bergé, BHL, Houellebecq, Foenkinos, Alexandre Jardin, Zemmour, Beigbeder, Alexandre Jardin… J'en oublie là aussi, mais c'est tant pis pour eux.

Et pour finir, voici les livres que le Clavier Cannibale a en pile sur sa table de lecture et qu'il emporte à la campagne, histoire de ne pas faire que cuisiner, traduire, écrire et soulever des haltères (et jouer au billard, et remplir le poêle de granules, et déguster des bourgogne millésimés) :

Sylvain Coher, Nord nord ouest (Actes Sud); Boll, L'affaire est dans le sac en papier (Le tripode); Antoine Brea, Simon le mage (le grand os); François Bon, Fragments du dedans (Grasset); Isaac Babel, Œuvre complètes (le bruit du temps); Philippe Beck, Opéradiques (Flammarion); John Stoltenberg, Refuser d'être un homme (Syllepse); Christophe Macquet, Cri & Co (le grand os); Jana Cerna, Vie de Milena (la contre allée); Christophe Tarkos, L'enregistré (POL); CAConrad, Ecodeviance (Wave Vooks); Franck Guyon, Chez (éd. marguerite waknine); Hermann Broch, Théorie de la folie des masses (l'éclat); Vilém Flusser, Les gestes (al dante); French Global (Garnier)…

Bref, que vous soyez lecteur, libraire, éditeur, auteur, attaché(e) de presse, directeur de collection ou même proxénète repenti, réparateur d'artichaut, tripoteur de galaxie, singe nyctalope, lancier du Bengale, fleur de nave, rustre dandy, ogre patenté, tiers exclu, petite musique de nuit, vibromasseur fluorescent (piles fournies), reître, mulot, surmulot, cuisinier, pornographe en noir et blanc, ormeau de taille raisonnable, cunnilincteur désintéressé, vendeur à la sauvette, contre la manif pour tous, allergique à Stendhal, trépasseur intermittent, disponible, bleu, rentier amnésique, etc., n'hésitez pas à m'envoyer vos suggestions de lecture (ou carrément des livres). Et surtout – SURTOUT ! –  n'oubliez pas de faire l'amour (beaucoup), la grève (souvent) et la cuisine (tout le temps), y a rien de mieux. 

— Claro

Ce n'est qu'un au revoir, sanglota le tamanoir

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Le Clavier Cannibale va suspendre quelque temps, tel un lustre superfétatoire, ses pénibles activités. Jusqu'au 5 janvier, sauf trépas personnel imprévu, c'en sera donc fini des critiques alambiquées d'ouvrages introuvables, des renvois d'ascenseur, des quolibets vexatoires, des réflexions profondes comme des divans, des photos ni faites ni à faire. On ne vous parlera plus du chef d'œuvre de Tartampion Boromidal publié aux éditions du Faon qui couine. On ne s'acharnera plus sur Florian Begbeider ou sur Amélie Gavalda. On vous épargnera les considérations fumeuses sur la traduction et les commentaires cacochymes sur l'actualité littéraire.

Bref, le Clavier Cannibale prend des vacances, même s'il convient d'entendre par "vacances" tout autre chose que de lascifs loisirs. J'ai du pain sur la planche et je vous rappelle que "la baguette a le coude fragile" (dixit Olivier Hervy). Mais rassurez-vous (ou inquiétez-vous): je ne vais pas laisser en jachère ce blog. J'en confie donc les rênes (ne pas confondre avec "confire les rennes", une opération plus délicate qu'on ne le crûtes-vous) à un ami d'enfance de Gaétan Mouret, un certain Aymeric Bouvillard, dont Gaétan n'a cessé de me louer la plume et la bienveillance. J'ai a priori toute confiance en Aymeric: il saura vous distraire et vous édifier, sans prétention. Réservez-lui l'accueil qui s'impose. Grâce à lui, ces fêtes de fin d'année vous sembleront presque supportables. Goudebaille. 

jeudi 11 décembre 2014

Olivier Adam au pays de la carte magique

Le 5 décembre dernier, dans le journal Libération, Olivier Adam s’interrogeait sur une mystérieuse « carte » que certains auraient (ou pas) et qui (quand on l’a) ouvrirait toutes les bonnes portes. Une carte ? Une carte de type visa, qui permettrait tous les retraits rêvés ? Ou une carte type d’état-major, qui aiderait à ne pas trop s’égarer dans la forêt de la culture ? Ou encore une carte style carte de presse ou passe-Beaubourg, pour aller et venir en toute liberté ? Un coupe-file? Un menu du jour? Ce n’est pas très clair. Olivier Adam a-t-il la carte Libération puisque les colonnes de ce journal lui sont ouvertes ? On l’ignore. Le fait est qu’il la trouve un peu louche, cette carte, un peu arbitraire, et surtout absurde. Elle serait en outre accordée par on ne sait qui. Brrr.
Prenez Xavier Dolan. Adam a détesté son dernier film, Mommy, mais ce film est encensé, donc ça veut dire que Dolan a la carte. Moi j’ai adoré son dernier film (à Dolan, pas à Adam). Je dois avoir la carte ou du moins savoir que Dolan l’a. En musique ? Même topo. Certains ont la carte. On les adule alors qu’ils sont nuls. Oui, vous commencez à comprendre : la carte est un passe, un passe-droit, un vrai passe-plat. Mais Adam est avant tout écrivain. Va-t-il nous dire comment ça se passe au pays de la littérature ? Eh bien oui et non. D’abord il nous prévient :
« Et je préfère ne pas parler de littérature. On penserait que je règle des comptes. Et puis les choses sont trop complexes. On peut avoir la carte auprès des libraires et pas des critiques. L’avoir auprès des deux et pas des jurés. Quant aux lecteurs, ils se fient tantôt aux uns tantôt aux autres, et parfois seulement à eux-mêmes. »
Tel Bartleby, Adam préférerait ne pas, mais tel Monsieur Jourdain, il ne fait que ça à son insu. Sauf que là je ne comprends rien à ce qu’il dit. Ça veut dire quoi avoir la carte auprès des libraires ? Vendre beaucoup ? Etre apprécié ? Suivi ? Lu ? En pile? En rayon? En commande? En rencontre devant cinq personnes? Et c’est quoi cette histoire de jurés ? Parce que, bon, ce n’est pas une obligation les prix littéraires, que je sache. Et la carte des critiques ? Ça veut dire quoi avoir la carte des critiques ? Quels critiques ? Des bonnes critiques? Beaucoup de critiques? Les bonnes critiques? Pourquoi Adam ne parle-t-il pas plutôt de la carte éditeur, ou de la carte diffuseur, voire de la carte distributeur? De la carte-tirage? De la carte mise-en-place? Et pourquoi irait-on penser qu’Adam règle des comptes ? Il l’a ou il l’a pas, la carte ?
Ensuite, Adam, qui préfère ne pas parler de littérature, nous explique que côté rentrée littéraire tout est joué très vite et à l’avance, un peloton de tête se dégage dès la fin de l’été, qui ne bougera pas. Sauf exceptions. Genre, Salvayre a le Goncourt (c’est bien). Genre, Reinhardt n’a rien (c’est mal, mais il faut dire que Reinhard avait la carte des ventes mais pas celle des jurés). Qui lui a donné la carte à Reinhardt. "Tout le monde" nous dit Adam. Ah bon. Puis on la lui a retirée. Qui lui a retiré?
Je cherche en vain un rapport entre le film de Dolan (qui contrairement à ce que dit Adam ne fait pas l’unanimité), le non-prix de Reinhardt, la surprise Salvayre. Et comme Adam je m’interroge sur les mystérieux distributeurs de la carte magique, qui sont peut-être "tout le monde" ou "quelques-un", ce n'est pas très clair :
« Quelques-uns décident (Qui sont-ils ? Se sont-ils consultés ? Se réunissent-ils pour s’entendre ?) »
Mais qui ça, bon sang ?! On veut des réponses!!! C’est une conspiration ou quoi ? Un lobby ? Des dieux ? Des entités? A moins qu’Adam veuille juste pointer le fait que certains critiques ont pignon sur rue depuis longtemps et qu’il y a une tendance moutonnière dans le milieu littéraire ? Que la culture est devenue un simple objet médiatique ? Que toutes les exceptions du monde n’y changeront rien ? Parce que si c’est ça la grande nouvelle, eh bien comment dire ? on était vaguement au courant. En revanche, il y a une carte dont Olivier Adam oublie de parler, et c’est la carte du ressentiment. Mais je préfère ne pas parler de ressentiment. On penserait que je règle des comptes. Et puis les choses sont trop complexes.

Allons bon

Mon lave-vaisselle est en panne. L'eau ne s'y engouffre qu'à contrecœur et comme à reculons. On entend alors une sorte de sanglot rébarbatif.  Un voyant lumineux clignote puis s'éteint. C'est fini. Le cycle purificateur n'a pas eu lieu, malgré un semblant d'activité. La chose est contrariante, mais ne prête pas non plus le flanc au désespoir. Or voilà que l'autre jour, alors que je m'installais à mon bureau pour écrire, une chose étrange se produisit. L'inspiration vint sous la forme d'une vague idée, un peu trop fluette à mon goût. Je voulus la développer, la porter à des températures pour ainsi dire lyriques, mais le paragraphe qui s'en suivit s'assécha de lui-même, comme intimidé – ou déçu – par son manque total de virtuosité. Le curseur pulsait tristement au centre de l'écran à peine entamé. J'avais sali une page pour rien. Je démontai mon cerveau, en nettoyai soigneusement toutes les parties, changeai un lobe qui me parut endommagé, puis relançai le cycle de la création. C'est alors que je m'aperçus que j'avais oublié de réinsérer le rouffard cranté dans l'espon à vis. Bref, j'ai eu le plus grand mal à exposer mon problème au réparateur de chez Darty.

mercredi 10 décembre 2014

Éclipses à mains nues – G. Mar hypnagogique

En mai dernier, on vous avait parlé d'un livre publié aux éditions Le Grand Os dans la collection poc!, une collection dévolue aux "fictions nocturnes & proses hypnagogiques". Un deuxième titre est paru dans cette même collection, intitulé Nocturama, et signé G. Mar. Il s'agit d'un recueil de vingt-deux textes, tous conçus comme des rêves, ou plutôt des récits de rêve, à moins qu'il ne s'agisse en fait, de récits rêvés – on l'aura deviné, il vaudrait mieux parler ici d'illuminations, d'ailleurs Rimbaud n'est jamais très loin, qu'il soit cité verbatim ou présent dans l'allusif. Qu'est-ce qu'un état hypnagogique? C'est, nous dit le dictionnaire, un état de semi-conscience, un trouble psychique qui précède le sommeil normal ou qui lui succède. Flaubert est encore plus pointu:
"L'intuition artistique ressemble en effet aux hallucinations hypnagogiques − par son caractère de fugacité, − ça vous passe devant les yeux, − c'est alors qu'il faut se jeter dessus, avidement."
G. Mar profite du brouillage des frontières entre rêve et réalité pour distiller des scènes qui, si elles semblent basculer dans le camp de l'onirisme, n'en reste pas moins pétrie de réalité ordinaire, une réalité hantée par la guerre, la fuite, les villes en ruines, les rencontres impossibles, les paysages de l'enfance… Errant, menacé, à la fois acteur et témoin, son narrateur qui résiste au récit pour mieux percer la croûte des apparences, demeure un voyant aveuglé. Les lieux, mystérieusement, sont interchangeables, Berlin peut devenir Jérusalem à la faveur d'un mur, Chicago laisser la place à Rouen… Seule compte la fulgurance de sensations qui permettent à l'écriture de traverser transversalement divers états et expériences, des sensations qui se chassent et s'enchâssent tandis que passé, présent et futur s'ordonnent et se réordonnent selon d'autres logiques que cette de l'histoire. 
Textes incandescents et précis à la manière de ces parades sauvages dont un autre Ardennais avait la clé, textes mobiles, mouvants, où la conscience, changée en prisme, rend tout plus intense et, du coup, plus réel:
"D'innombrables détritus de légumes et de fruits insensés recouvrent une mer de pavés huileux qui partent en cascade – je m'enfonce dans une Rome outre-Atlantique aux odeurs de lessive et de compost. De vieilles dames aux larges poitrines accrochent un linge noir à leur fil tendu de balcon à balcon en signe de deuil couvrant une partie du soleil (c'est une éclipse à main nue) – et me saluent.
Je continue à descendre – des enfants plein les jambes avec des sourires d'idiots – leur peau dorée comme des malades du foie dégouline de sueur – il fait tout à fait sombre et chaud – je continue à descendre.
Un homme adossé à une porte vitrée me montre des billets de jeu et des dollars épinglés sur ses deux moignons. Derrière lui des cris de joie et des bruits de bouteilles, des voix qui se mêlent au vacarme lancinant de billes d'acier lancées avec fracas sur des roulettes – la roue tourne – c'est mon heure…
Le peu de lumière qui filtrait dans la rue à travers les toits disparaît – il fait rose – comme dans un bordel […]."
Ce sont, pour reprendre l'expression de Max Blecher, d'autres "aventures dans l'irréalité immédiate". Alors n'hésitez pas: illuminez-vous, irradiez-vous, lisez G. Mar.

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G. Mar, Nocturama, textes-rêves & hypnagogies, éd. Le Grand Os, coll. poc!, 12€

Illustration: peinture de León Diaz Ronda – actuellement exposée à Annecy et Carcassonne – pour plus de renseignements, allez sur le site de l'éditeur Le Grand Os.

mardi 9 décembre 2014

Bergé, luminaire

Eric Chevillard écrit une chronique dans le journal Le Monde. On l'a sollicité, entre autres, pour son art du laminage, sa verve, son humour. Il ne prend donc pas de gants. Concernant Modiano, il a donc dit ce qu'il avait à dire. Ça ne plaît pas à Pierre Bergé, actionnaire du Monde. Le 10 octobre dernier, sur son compte Twitter, il publie ceci:
"Pauvre Chevillard que personne ne lit et qui se venge en démolissant Patrick Modiano prix Nobel de littérature 2014."
Et récemment il récidive, en faisant un parallèle entre Chevillard et Denis Cosnard, un journaliste économique du Monde ayant par ailleurs commis un ouvrage sur Modiano:
"#leMonde. Chevillard ou Cosnard? Ou le connard n'est pas celui qu'on pourrait croire."
Passons sur l'insulte d'une finesse inouïe; passons sur cet usage audacieux de Twitter. Chevillard a menacé depuis de "s'immoler par le feu dans le hall de l'immeuble". En revanche, revenons sur ce "que personne ne lit". C'est marrant, on l'a déjà entendu récemment dans la bouche de Jérôme Garcin à propos de Volodine. A croire que certains pètent un câble dès qu'on touche à leurs idoles ou dès qu'on gagne en reconnaissance, et en reviennent alors à ce bon vieil argument économique soi-disant imparable: Bon, ce type ne vend pas beaucoup, donc c'est comme si "personne" ne le lisait, donc c'est un auteur forcément aigri, donc il se venge. Et en plus on est décomplexé: on le dit. Comme si on disait: c'est un pauvre de toute façon. 

Autrement dit, le message est le suivant. Si vous n'avez pas beaucoup de lecteurs, vous n'avez pas le droit de critiquer. Corollaire 1: le droit de critiquer se mérite, et ce mérite c'est les ventes. Corollaire 2: Entrez dans la catégorie des poids-lourds et on verra après. Corollaire 3: de toute façon, quand vous vendrez vraiment, on sait bien que vous ne critiquerez plus.

Je ne sais pas pourquoi, mais ce ton condescendant et menaçant – "pauvre Chevillard que personne ne lit" – me fait penser à ces éminences grises qui virevoltaient autour des rois de France et qui, quand elles parlaient de poètes un peu gênants, disaient des choses de ce genre: Pauvre Clément Marot… Pauvre François Villon… Pauvre? Un terme qui, dans la bouche de Bergé, prend un relief saisissant. Mais il est vrai qu'on ne peut pas dire: "Riche Pierre Bergé, que tout le monde lit". Le M/monde est décidément mal fait…

 

lundi 8 décembre 2014

Sexe, styx et soi : Jude et l'obscur


Dans la nuit des pulsions, l’enfant est seul, il tâtonne au milieu d’une forêt dense et humide où les vertiges n’ont pas encore de nom, et ce qu’il va découvrir n’est rien d’autre que le mystère de la limite: celle entre les corps, celle entre l’extérieur et l’intérieur, le mot et la chose, la peur et le désir.
Dancing with myself, premier roman d’Ismaël Jude, sous les aspects d’un roman d’apprentissage, est en fait une « usine surchauffée », pour reprendre l’expression par laquelle Artaud désignait le corps. Tout commence dans l’ignorance, la naïveté, la maladresse ; tout commence par un enfant qui découvre le monde du sexe dans ses obscures floraisons et ses rites interlopes. Le narrateur a vu la grange familiale devenir une boîte de nuit, un lieu bruyant où officie une strip-teaseuse, Bella Gigi, et c’est en côtoyant cet univers brouillé qu’il accède aux premiers émois de la chair. Très vite, le spéculaire le conduit à l'auto-érotisme. Et au rêve. Et aux fleurs.

La première partie du roman, intitulée « Écueil » (du nom du village), s’attache à ce déchiffrement improvisé qu’est l’apprentissage de la sexualité. Il y a la strip-teaseuse, mais aussi la cousine, Mina, ainsi qu’une simple d’esprit, Doriane, les clients du night-club, les parents du narrateur, les camarades de classe, la prof de français, bref toute une tribu éclatée à différents stades de maturation sexuelle, avec pour centre aveugle des pulsion : « Le Secret. La Chose secrète. » Le narrateur ne vit plus que pour ça, ne se branle plus que pour ça. L’étincelle qui met le feu au foutre

La deuxième partie du roman s’intitule « Styx », du nom d’une autre boîte de nuit, parisienne celle-ci, où le narrateur, qui a grandi, va écumer les corps, en quête de plaisirs moins solitaires. Délaissant ses études, il tente de se « séparer de certains de [ses] vices » et « en adopte de nouveaux, plus élaborés ». Car c’est « la seule méthode dont on dispose ». Botaniste du stupre dans un premier temps, faux bourdon mais vrai pervers, il s’abîme de plus en plus dans une « dépense » débridée, et ici le texte de Jude, qui au début avait des airs de Hardellet, s’enfonce dans une pénombre rappelant Bataille. Le jeu plutôt plaisant des émois enfantins a cédé la place à une débauche crue, à laquelle l’écriture à la fois limpide et serrée de Jude confère un caractère inéluctable, tragique. On s’enfonce dans la nuit :
« La nuit est une araignée. Elle sait qu’elle doit mourir quand sa succession est assurée, sa descendance. L’immanence est sa toile, et nous, les mouches, prises dans la métaphore filée. Les étants, pris en sandwich dans l’être. […] La nuit n’est pas une métaphore, elle est ce qui creuse en nous, le langage, jusqu’à ce que les mots deviennent les choses mêmes. Sans leur contour nocturne, les mots ne voudraient rien dire. Ils ne trouveraient pas de scène pour s’exhiber. Il n’y aurait qu’une brume épaisse de non-sens où rien ne se montre. »
Et le fait est qu’il s’agit bel et bien ici, dans ce premier roman intensément transgressif, de « monstration ». Débridée, au sens quasi littéral, la sexualité devient vertige, épuisement des possibles, pure mécanique de la dépense. Du corps quasi forain, exhibé sur les planches bientôt en feu d’une discothèque de province, aux grappes lubriques qui s’agitent dans le night-club parisien, une même dérive est traquée, détaillée. Le bildungsroman, alors, devient tragédie grecque ; l’apprentissage dépravation ; la fleur ronce. 

Convoquant tous les sens, jusqu’aux plus sombres, ne se fixant guère de limite, Dancing with myself explore les pulsions jusqu’à leur dissolution dans le jardin des supplices adultes. Traversée du Styx constellée de convoitises impossibles et d’éprouvantes fornications, cette "danse solitaire" du corps permet à son auteur de créer une véritable scénographie du sexe, une "comédie infernale" en trois parties. Impressionnant comme un fer brûlant.

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Ismaël Jude, dancing with myself, éd. Verticales, 16,50€

Illustration: Topless dancer Jackie Miller at the Condor Club in San Francisco, photographed for Playboy,1966

jeudi 4 décembre 2014

BHL, mètre à penser

Le plus fascinant, chez les usurpateurs de la pensée, c'est leur propension à perdurer. On a beau les démasquer, exposer leurs tricheries, publier les preuves de leur ânerie souveraine, tourner en ridicule leurs forfanteries, ils continuent de se pavaner et de quémander les faveurs comme s'ils les accordaient. Certes, s'ils parviennent à occuper une place aussi imméritée, c'est qu'ils ont un secret, un secret qui bien sûr n'en est pas un, puisque tout le monde sait que l'unique raison de leur non-décapitation en place publique est très simple: ils ont du pouvoir. Lequel? Oh, ils ont foutu leur fric dans des supports médiatiques, pas la peine de chercher plus loin. Ça suffit. L'énormité de leur arrogance fera le reste, et entretiendra une bienveillance chèrement acquise.

Prenez Bernard-Henri Lévy. Indéboulonnable. Des gens continuent de l'écouter, rendez-vous compte. Certains même le lisent encore ou vont voir ses pièces. Alors qu'il est de notoriété commune que l'homme a des techniques imparables. Genre, il fait acheter la quasi totalité de son premier tirage. Véridique. Sa dernière pitrerie en date vaut néanmoins le détour.

En effet, BHL possède une baraque à Tanger. Il en possède pas mal d'autres, mais bon, il fait ce qu'il veut de sa fortune, alors restons à Tanger. Il se trouve que, récemment, des journalistes ont souhaité venir le filmer, et sans doute, aussi, lui poser des questions passionnantes sur lui, sur sa personne et également sur ce qui fait qu'il est lui (et pourquoi il a sauvé le monde arabe, tant qu'à faire). BHL accepte, grand prince. Mais voilà qu'il a un pincement d'inquiétude. Le décor où il va être filmé sera-t-il à la hauteur de l'immensitude de sa pensée? Pas assez de livres, constate-t-il en regardant autour de lui la pièce où il a décidé qu'on l'immortaliserait. Que fait-il? Il décroche son téléphone, appelle une librairie tangéroise et, sans ciller, sans l'ombre d'un scrupule, leur demande de lui livrer "17 mètres linéaires de livres". Oui, vous avez bien lu: du livre au mètres.
Le libraire, estomaqué, a refusé de se livrer à cette mascarade. Nul doute que BHL trouvera une autre façon de peupler sa pièce de rectangles reliés. Après tout, il lui suffira de les écrire, ou de les recopier. Dix-sept mètres, ce n'est pas la mer à boire, même si c'est en gros la taille d'une baleine, d'ailleurs un monstre marin de cette taille a été découvert récemment sur la côte chinoise, près de Guangdong. C'est un pêcheur du coin de 66 ans, Hwang, qui a été le tour premier à apercevoir la carcasse de quatre tonnes en décomposition. La bête avait une corde nouée autour du corps, ce qui laisse à penser que des pêcheurs l'ont prise et ont dû la relâcher, vu son poids démesuré.
Mais qu'on se rassure: ce n'est pas le genre de mésaventure qui risque d'arriver à BHL. Insubmersible. Dix-sept mètres de rodomontage… and he's still floating!

mercredi 3 décembre 2014

A la rencontre de l'Ogre


Le 15 janvier 2015, faites comme ce lecteur curieux de tout: allez à la rencontre de l'Ogre. Ça se passera à la libraire Le Comptoir des Mots, à Gambetta, vers 19h. En compagnie des éditeurs, on fêtera et parlera des deux premiers titres parus à l'Ogre: Aventures dans l'irréalité immédiate, de Max Blecher, et Quelques rides, de Fabien Clouette, ainsi que des titres à venir. Oui, je sais, c'est dans longtemps, mais à quoi ça sert d'avoir la fonction agenda sur son téléphone si c'est pour s'en servir le lendemain de l'événement? Alors notez, et vernis soyez.

Rêvons un peu

On donne à mon avis une place trop importante aux nécrologies d'écrivain, ce qui n'est pas difficile, puisque tout ayant été écrit, par eux et sur eux, la matière abonde et, de fait, les lauriers pleuvent. Chaque année, bizarrement, ils sont quelques-uns, bons ou médiocres, à disparaître dans la non-indifférence générale. Oui, car casser sa pipe reste l'ultime plan média pour un écrivain, ça vend plus qu'un prix même si, comme pour un prix, on n'y est pour rien. Et puis, mort, un écrivain est assuré d'être loué, de se voir pardonner ses bluettes, de refourguer ses fonds de tiroir qu'on usera sur les tables des librairies comme des fonds de culotte sur les bancs de la communale – j'ai essayé de proposer une variante de cette image en recourant à "fond de veau", mais ça n'a pas marché. Bref, aujourd'hui je préfère célébrer la naissance d'un écrivain. La vraie naissance, pas celle liée à la parution d'un livre, la naissance dans le sang, entre les fèces et les urines, dans le confort d'une petite clinique privée, quelque part en France.

Il s'appelle Gaétan Mouret Jr. Gros comme un potimarron, et sensiblement de la même couleur à l'heure où je vous parle, long comme un concombre qui rêve déjà d'être débité, dardant sur le monde immaculé des yeux bleus dont la nuance pôlaire rappelle le plus efficace des produits wc, un nez en forme de cadenas qu'il ferait bon crocheter, il gazouille déjà. Ses premiers mots seront d'ici quelques mois hashtagués pieusement sur un cahier toilé numérique. A cinq ans, il aura des idées de roman dignes de passer à La Grande Librairie. A douze, il écrira des nouvelles percluses de mimétisme, embaumant le compte d'auteur. A seize ans, ses premiers poèmes, chiches en rimes mais riches en frime. Puis il connaîtra la vie, dans sa rotondité carrée, son immanence flottante. Le vice l'interpellera, intrigué par sa naïveté. Il tâtera des drogues et des mars glacés. Fera une rencontre qui changera le cours de son existence pendant deux mois et demi. Comprendra qu'il est fait pour le roman et surtout que le roman est fait pour lui. Il écrira comme on respire: mal mais avec entêtement. Un premier livre sortira bientôt, tel un têtard têtu, des presses troubles d'un éditeur courageux. En bon talent déniché, Gaétan Mouret saura trouver, j'en suis sûr, un public. Et même: son public. Il récidivera au point d'être envoyé en bibliothèque après un rapide procès à la télévision. On lui décernera des prix capillairement littéraires qui provoqueront chez lui cette sympathique érection du muscle zygomatique, signe d'une humilité périmable. Une rubrique lui sera confiée, et il n'en lâchera plus la laisse. On le comparera à d'autres Gaétan Mouret, et il n'en prendra pas ombrage. Il écrira pour les enfants, les adultes, les vieux, ainsi que pour les plantes, hélas à son insu. On l'achètera plus qu'on le lira. Avec un peu de chance, il aura un jour une impasse à son nom.

Mais pour l'instant, c'est juste un enfançon qui chie et vagit, ne tient pas debout, fait des bulles avec la bouche et n'a aucune idée de ce qui l'attend. Il sait juste, au fond de lui, que l'expérience ne fera que confirmer ce dont il se doute déjà: écrivain, quel destin ! Alors tiens bon, Gaétan, l'aventure ne fait que commencer !