vendredi 13 décembre 2013

Les livres accessibles sont nos amis pour la vie

Il y a peu, sur ce blog, je citais des propos éclairés de Douglas Kennedy sur les raisons de son succès (mais que font les descendants d'Oswald, putain ?!). C'était simple et direct: Douglas, dixit Douglas, a un "style accessible". J'aurais pu gloser sur cet adjectif, mais j'ai cru sur le moment que c'est parce que DK n'en avait pas trouvé d'autre, son dictionnaire des synonymes lui servant visiblement de cale-porte depuis très longtemps. Or voilà qu'à l'occasion de la remise du Prix Rossel en Belgique, on a pu lire dans la presse, et plus précisément dans Le Soir, les propos suivants (merci au passage à Emmanuel Requette, nautonier du Ptyx, d'avoir relayé l'édifiante info), des propos relatifs au livre primé :
« Son livre est accessible et lisible.  Ce n’est pas un prix dédié aux élites. » (Jean Dufaux, Scénariste de Blake et Mortimer)
et
« C’est un auteur toujours drôle avec une écriture très accessible. » (Viviane Vandeninden, Attachée de presse indépendante)
Jean, Viviane: je vous aime. Et j'espère que les petits fours ne comportaient aucun éclat de verre. Bon, je crois qu'il est temps de se pencher sur ce mot. Accessible, renseignements pris, veut tout bonnement dire "ouvert". Donc, facile d'accès. Un livre accessible est donc un livre ouvert à tous. Mais est-il naturellement ouvert à tous ou a-t-il travaillé à cette ouverture? C'est sans doute la même chose. En tout cas, voilà qui plaît. Parce que, n'est-ce pas, que ferait-on d'un livre fermé, ou à tout le moins entrouvert? D'un livre qui, au lieu d'ouvrir grand les bras, resterait bras croisés? D'un livre qui ne chercherait pas à vous faciliter l'accès ? D'un livre qui exigerait de vous d'être autre chose qu'un courant d'air susceptible de tourner les pages sans se fouler les doigts? D'un livre qui ne vous attendrait pas, mais attendrait quelque chose de vous?
L'accès contre l'excès? Ce qui est sûr, c'est que ce qui devrait faire la valeur d'un livre – sa résilience – est désormais considéré comme une tare. D'un côté le sympathique prêt-à-lire, de l'autre les prises de tête pour élites, donc. Comment faut-il s'y prendre pour avoir une écriture accessible? En demandant à David Foenkinos de remettre le prix Rossel au lauréat, le jury devait avoir sa petite idée sur la question, c'est certain. Pourquoi ne pas aller plus loin? Ils devraient créer le Prix du Livre Accessible. Ou Le Prix du Livre Ouvert à Tous. Ou le Prix du Livre Dédié aux Non-Elites. Ou, tant qu'à faire, et là ça serait parfait: Le Prix du Livre Lisible. (Ou le Prix Lisible. Voire le Prisible…)
Il existe fort heureusement un antidote à cette pathétique montagne de conneries démagos. C'est une phrase de Jorge Luis Borges:
"La Bibliothèque est une sphère dont le centre véritable est un hexagone quelconque, et dont la circonférence est inaccessible.

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Ill. Vera-Ellen (of White Christmas fame) with turkey, c. 1950s