jeudi 3 octobre 2013

Le premier interprète du Volcan (3)

Comment l'ex-étudiant martiniquais Michel Pilotin, proche des surréalistes, avant de devenir un des pionniers de la SF française au côté de Vian, en vint-il à traduire Au-Dessous du Volcan? Si Maurice Nadeau ne le sait pas, alors personne ne le sait. Le fait est qu'il travaillait avec Clarisse Francillon sur cette traduction, et qu'ils eurent comme éminent collaborateur l'auteur lui-même. Car Lowry vint à Paris, avec sa femme Margerie, et Pilotin et Francillon parvinrent tant bien que mal à organiser des séances de travail avec le fuyant auteur. Francillon a d'ailleurs laissé un témoignage vaporeux de cette collaboration:
"Que ce fût dans cette maison-là ou dans la mienne, le rite était le même. Après son opaque sommeil, qui se prolongeait jusqu'à une heure avancée du matin, il enfilait impatiemment, fiévreusement, son chandail de laine grise à col roulé, son unique souci étant de. gagner la cuisine au plus vite. Les tremblements nerveux qui secouaient ses membres ne se calmaient qu'une fois absorbés les premiers verres de vin rouge coupé d'eau. On lui préparait cette boisson dans une petite carafe dont le bouchon, heurtant le goulot, rythmait toute une partie de la journée. Dans nos esprits inquiets, ce tintement prenait des proportions démesurées, il s'enflait, il devenait celui d'une sonnette d'alarme, d'une cloche de navire errant parmi les brumes. Cela durait jusqu'au moment où, effectivement, Lowry disparaissait, et quoi que nous puissions dire ou faire, nous échappait."
Il est pour le moins étonnant – mais l'est-ce vraiment? – que celui qui traduisit le premier Lowry ait été un étudiant martiniquais, proche du surréalisme, ami de Vian et promoteur de la science-fiction en France, bref, électron libre, quelque peu oublié par les temps, discret jusque dans son rôle primordiale (il comprit très vite avec Vian que la SF était affaire de traduction). 
Après tout, qu'est-ce qu'une traduction? Prenez un générateur d'énergie (la pile Nadeau): laissez-le vibrer un certain temps entre l'Amérique, le surréalisme, la passion de l'autre, Margerie, la confiance aveugle et le flair inéluctable, autorisez-lui les fusions les plus improbables et vous obtiendrez une rencontre – autrement dit, hors toute franchise franco-française: une traduction mémorable. 
Non, tu n'as pas tout vu à Quauhnahuac. Le fait qu'un Martiniquais ait collaboré, sous l'égide d'un indécrottable Parisien, avec l'écrivaine suisse Claire Francillon pour venir à bout de ce monument mexicain qu'est le roman de l'américain Lowry (qui plus est avec son éthylique collaboration) nous en dit long sur ceux qui pensent que notre patrimoine littéraire a l'ADN bleu blanc rouge. La traduction est un rêve métèque et son patron n'est pas saint Jérôme mais Jésus Rastaquouère.
Que disait déjà Picabia?
" La vie devrait être comme un bain pour étirer ses membres."

2 commentaires:

  1. Bonsoir,
    En lisant votre prose érudite à propos de la traduction, je me demandais si vous ne cherchiez pas chez Lot49 et le Cherche Midi quelqu'un pour traduire de l'espagnol en français, en tel cas, je serais ravi de m'y essayer.
    Merci
    Raphaël

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  2. "Il est pour le moins étonnant – mais l'est-ce vraiment? – que celui qui traduisit le premier Lowry ait été un étudiant martiniquais"

    Mais on peut être Martiniquais et parler anglais, non ?

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