mercredi 19 juin 2013

Eloge des magiciens


La naïveté serait de croire que la réalité s’est faite toute seule, par l’opération du Saint-Esprit ou d’un de ses commis. Non, elle a pris du temps, est partie de rien, de chiures de ptérodactyles sur le tronc d’un séquoia, d’empreintes de macaques aux abords des marais, d’ombres trilobées, d’idées à peine consistantes, qu’il a fallu retailler, gauchir, imiter, repeindre, puis faire luire, en les soumettant et les habituant aux plus crus éclairages. Le bruit court que Dieu a créé le ciel en une journée, comme un général appuyant sur le bouton rouge. Nul ne conteste le fait que le ciel a été créé, ou inventé, mais cela a pris un peu plus de temps que ça, quand même, et au début ce n’était pas un joli ciel laqué de bleu et taillé sur mesure pour les rêveurs, pas le genre de ciel qu’on regarde en amoureux, les mains dans les poches de l’autre, non, c’était un ciel primaire, bricolé à partir d’un sceptre et de quelques ambitions, qui servait de parasol aux meneurs, lesquels avaient autre chose à faire que fabriquer de la pluie et du beau temps, de la grêle, des orages, et des fientes d’oiseaux. Il fallut donc confier conception et sa réalisation à des artisans de tout premier ordre, à des adeptes du secret : les magiciens, ces êtres composites qui sont aussi ingénieurs, techniciens, ouvriers, peintres, tailleurs, horticulteurs, menuisiers, colombophiles, combinant tous les talents, la frime en plus. Fabriquant eux-mêmes leurs miroirs, sculptant leurs propres ectoplasmes, baisant éventuellement leur assistante sans qu’elle le sache, planquant leurs rêves dans des pièces de monnaie dont eux seuls savent émanciper le double fond. Ils sont capables d’apparaître,  de disparaître, de se diviser, se décupler, n’hésitent pas à parler avec le ventre, osent voir sans les yeux, espèrent entendre à travers les murs – de quoi rendre jaloux toutes les polices secrètes du monde. Ils s’habillent tantôt comme des lords tantôt comme des briquetiers, escaladent des cordes à la façon rêveuse des yogis, coupent les femmes – les plus belles ! celles aux nichons nacrés – en deux avec une précision de psychopathe, et peuvent fumer cent clopes à la fois, au bout de leurs deux mille doigts. Ils ont également l’art de faire rire les enfants, d’émerveiller les pisse-froid, d’émincer le sceptiques. Un éléphant n’est pour eux qu’une molécule aisément dissipable, dont les défenses leur serviront plus tard de chenets, et à peine allumé le feu prend consistance, barrit et s’en va parader sous le chapiteau, messieurs mesdames applaudissez.___________
(to be continued?)

2 commentaires: