lundi 7 mai 2012

La fente et l'ombrelle

"Les hommes ne cessent de fabriquer une ombrelle qui les abrite, sur le dessous de laquelle ils tracent un firmament et écrivent leurs conventions, leurs opinions ; mais le poète, l’artiste pratique une fente dans l’ombrelle, il déchire même le firmament, pour faire passer un peu de chaos libre et venteux et cadrer dans une brusque lumière une vision qui apparaît à travers la fente, primevère de Wordsworth, ou pomme de Cézane, silhouette de Macbeth ou d’Achab.
Alors suivent la foule des imitateurs qui ravaudent l’ombrelle avec une pièce qui ressemble vaguement à la vision, et la foule des glossateurs qui remplissent la fente avec des opinions : communication.
Il faudra toujours d’autres artistes pour faire d’autres fentes, opérer les destructions nécessaires, peut-être de plus en plus grandes, et redonner ainsi à leurs prédécesseurs l’incommunicable nouveauté qu’on ne savait plus voir."
— Gilles Deleuze

1 commentaire:

  1. "La table rase est une bêtise, nous avons lu, [***] nous écrivons sur et avec la littérature universelle, nous ne passons pas par-dessus. Nous imitons, oui, comme on l'a fait depuis le début, nous imitons passionément et en même temps passionément nous n'imitons pas: chaque livre, à chaque fois, est un salut aux pères et une insulte aux pères, une reconnaîssance et un déni..."
    (Pierre Michon: Le roi vient quand il veut)
    Et cela vaut pour l'Art, pour tous les arts... Et si les mots de Michon entraînent mon adhésion bien plus que ceux de Deleuze, c'est parce qu'il me semble que les premiers contiennent, entourent, englobent les seconds sans les biffer ou évider - alors que la réciproque n'est pas vraie, loin s'en faut...

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