jeudi 31 mai 2012

Facebook, le livre

Comme le disait Gérard de Villiers: "Le léger cliquetis du chien ramené en arrière fut absorbé par le grondement des quatre moteurs du DC 6 d'Air Congo qui grimpait pour échapper à une tornade précoce, en ce début d'hiver tropical." Mais passons. On ne peut pas tout lire, ni tout commenter. Les temps sont durs. D'arides épreuves nous attendent, comme la parution fin août de Jouissance, le dernier roman de Florian Zeller, passé chez Gallimard dans l'espoir d'avoir un prix à défaut d'une valeur (et dont on murmure déjà en coulisses qu'il est si mauvais que seul un avenir de bloque-porte pourrait le sauver d'un usage plus pernicieux mais non moins utile). Les temps sont durs, donc, disions-nous, même si la perspective de lire le nouveau livre d'Eric Chevillard, qu'on attend comme la plaie consentante le sel bienveillant nous aide à supporter bien des choses, parmi lesquelles la perspective de ne pas lire le prochain Djian (qui apparemment s'intitule Oh, et que publie le même Gallimard, mais là encore ça sent la blague carambar) ou le prochain Delerm (dont le titre, Je vais passer pour un vieux con, et que publie once more Gallimard, un éditeur qui apparemment compte fêter son centenaire pour la troisième fois consécutive, sent grave la blague carambar mais collée sous la semelle).
Que faire, donc, en attendant l'avalanche de rentrée qu'en sus nous contribuerons à aggraver à l'aide d'un roman à paraître chez Actes Sud ? Lecteur, détends-toi. Connecte-toi. Tu as entendu parler de Facebook? C'est un réseau qui permet aux gens de vérifier qu'ils en sont. Comme toutes les activités hormis le trait de génie et le grattage d'une allumette, Facebook est chronophage et bleu. Conçu pour les gens, il permet de partager des phrases, des images, des sons, un peu comme Internet mais en bleu (d'où son côté chronophage). Les gens aiment Facebook. Ils font des statuts (ce sont des phrases qui ne sont pas définitives). Ils se pokent (ça ne laisse aucune trace). Ils likent (pour prouver qu'ils ont peut-être lu ce que tu écris). Ils commentent (parce que la glose toujours). Mais surtout, les gens, sur Facebook, ont des profils. C'est là qu'intervient Mat Hild. Attends, je t'explique.
Mat Hild vient de sortir un livre chez l'éditeur (Flammarion) qui ne publie plus Florian Zeller, comme quoi il y a une justice. Ça s'appelle Et toi, t'es qui?, et c'est sous-titré Petite typologie des profils facebook, et c'est accompagné de super dessins d'Albin Christen, et c'est préfacé par Claro, le mec qui a co-traduit le premier volume des mémoires de Margaret Thatcher que je te déconseille de lire (l'auteur est une amie – Mat Hild, hein, je ne parle plus de Thatcher…, et j'ai préfacé son livre, ce qui fait donc de ce post un article de complaisance, mais je vous rappelle que nous sommes jeudi et qu'il fait beau, alors détendez-vous). Mat Hild y recense les divers profils des facebookistes: l'ex, le pokeur frénétique, le dragueur, le voisin d'enfance, le parano, l'intello, le rigolo, le policer hongrois (si, si…) etc. C'est à la fois sérieux et drôle. Sérieux parce qu'on défie à quiconque de ne pas se reconnaître dans un de ces profils (sauf si on rame encore sur myspace), voire dans plusieurs (on peut cumuler, comme au gouvernement). Drôle parce que Mat Hild à l'humour Woody Allen qui touche là où ça chatouille. Exemple:
Depuis que Facebook a inventé le partenariat domestique, c'est hyper tendance d'être en couple, alors qu'avant c'était plutôt révélateur d'une engonçure judéo-chrétienne. On ne va pas s'en plaindre, la love a refait son apparition, et on peut liker peinard ses manifestations, ce qui est beaucoup plus hype que de collectionner les navets avec Hugh Grant (même en VO).
Voilà. C'est délicieux, malin, parfois surréaliste ("au cas où le mystérieux porterait jarretelle"), souvent alerte ("popopop ne me fais pas le coup du balaiement d'un revers de main"), à tous les coups justifié ("souvent l'échange se clôt sur un bon mot, une panne de batterie, ou les enfants qui rentrent de l'école"), et neuf fois sur dix redoutable ("En 1932, ta grand-mère avait réussi à se débarrasser de son ex grâce à l'exode rural; avant elle, sa propre mère avait pu compter sur l'épidémie de grippe espagnole. Mais pour toi, pas de chance, il y a Facebook").
Comme le livre ne coûte que 9,95€, ça veut dire qu'en plus de te vendre le livre, le libraire va t'offrir une pièce de cinq centimes, que tu pourras mettre de côté en attendant la fin de la crise. C'est un livre que tu peux donc acheter, offrir, lire et même commenter et liker. Poke !



mercredi 30 mai 2012

Festival &NOW : demandez le programme

Le festival &NOW est un festival de littérature contemporaine ayant à cœur de traiter l'écriture comme une forme d'art, ou plutôt, comme un art de la forme, une expérience qui fait de cette pratique un perpétuel travail expérimental au sens le plus fort, le plus vif. Il a pour but de donner un temps et un espace précieux à cette autre "tradition" qu'est l'innovation. Fondé en 2004 par l'écrivain Steve Tomasula, ce festival hors norme aura lieu cette année à Paris, du 6 au 10 juin, grâce au dévouement de ses participants et à la ténacité d'un groupe d'universitaires et de traducteurs, de quelques libraires, avec le soutien de la Région Ile-de-France. Une occasion unique d'entendre et de rencontrer de très nombreux écrivains de premier plan, souvent encore inconnus en France, et d'assister à des débats d'une haute tenue critique. Parmi les intervenants, on trouvera deux auteurs publiés par LOT49,  Brian Evenson et Ben Marcus, mais aussi les passionnants Thalia Field, Christian Bok, Steve Tomasula, Rikki Ducornet, Lance Olsen et Robert Coover. Des auteurs français se mêleront également de ce qui les regarde, tels que Oliver Rohe, Arno Bertina, Nicole Caligaris, Patrick Deville (et moi-même).
En attendant mercredi prochain, voici le très riche et très copieux menu de &NOW:

Colloque &NOW des nouvelles écritures en Amérique et en France

organisé du 6 au 10 juin 2012 à l’Université de Paris-Sorbonne
par Sylvie Bauer, Antoine Cazé, Geneviève Cohen-Cheminet, Agnès Derail,
Anne-Laure Tissut et Juliette Utard.

Contact: andnow2011@gmail.com
Inscription: http://andnowfestival.com/registration.html



&Now: collaborations, continuités, évolutions
6-10 Juin 2012

Mercredi 6 Juin   Université Paris-Sorbonne  (Amphithéâtres Michelet et Quinet ; Bibliothèque Louis Bonnerot)
9.00   Ouverture, Amphithéâtre Michelet : Geneviève Cohen-Cheminet et Pierre Iselin
9.30-11 Ateliers en parallèle
- Language Matters (pratiques artistiques/réflexion critique)
“The Embodied Page: Two Conceptual Artists’ Books” (Anne Royston); “Mes Hypertropes: Programmed Poems from a Founding Member of Oulipo” (Amaranth Borsuk); “Ocular Oulipo: the Exercise of Constraint in Matthew Barney's 'Drawing Restraint'” (Robert Glick) (modérateur Anne Ullmo)  Michelet
- Lecture : Urs Allemann (modérateur Patrick Greaney; Vanessa Place, Urs Allemann)  Quinet
11-11.30 Pause
11.30-13.00  Ateliers en parallèle
- North American Constraint (lecture) (modérateur Tom La Farge) (Doug Nufer, Wendy Walker)  Quinet
- Bird Lovers, Backyard / L'amateur d'oiseaux, de loin (lecture) (Thalia Field)
- Carte blanche à Arno Bertina (lecture et réflexion critique): Une éthique d’écriture  Michelet

13.00-14.30 Déjeuner
14.30-16.00 Ateliers en parallèle
- Global Conceptualisms: Conceptualism as a trans-national literary movement (pratiques artistiques/réflexion critique) (modérateur Vanessa Place) Nick Thurston (UK), Christian Bok (Canada), Carlos Soto-Roman (Chile), Marco Antonio Huerta (Mexico), Paal Bjelke Andersen (Norway), Franck Leibovici (Fr), Swantje Lichtenstein (Germany) and Vanessa Place (US). Michelet
- Upsetting readings (réflexion critique): David Banash, "Narrative Immersion and the Image-Text: Steve Tomasula and the Art of Reading"; Karim Danoune: “Unread is undead: the Posthumous and the Posthuman in Don DeLillo's Cosmopolis (2003)”; Clément Ulff: “'Miles Away From Where I Started': Proliferating Readings In and Out of Percival Everett's Erasure” (modérateur Françoise Sammarcelli)  Quinet
16-16.30 Pause
16.30-18.00  Ateliers en parallèle
- A Literal (re)Vision: Writing as Appropriation of Contemporary Portraiture (pratiques artistiques/réflexion critique) (Anne Yoder, Patti Petelin)
- “Baby Fucker and its Elective Affinities.” (pratiques artistiques/réflexion critique) (Patrick Greaney, Michael Du Plessis, Elisabeth Sheffield)
- Rencontre avec Rikki Ducornet, animée par Jean-Yves Pellegrin  (lecture et réflexion critique)  Michelet

19.00 – 20.30  Lectures à Shakespeare&Co    37 rue de la bûcherie, 5ème arrdt
Robert Coover, Nick Flynn, Ben Marcus


Jeudi 7   Maison de la recherche, 28 rue Serpente, D035, D116, D223
9 – 10.30  Ateliers en parallèle
- Le dispositif : questions d’action poétique 1 (pratiques artistiques/réflexion critique) (modérateur Pascal Aquien)  D116
Présentation : Geneviève Cohen-Cheminet
Christophe Hanna
- Performances: Loss of grasp (Serge Bouchardon); The Figurine Show (Renée d’Aoust); Stone – A Storyteller (Shastri Akella) (modérateur, Yannicke Chupin)  D223
- Exchanges Between: Occupied Subjects, Poisonous Tongues and Radical Optimists (pratiques artistiques/réflexion critique) (Vincent Dachy, Christine Wertheim, Matias Viegener, Jennifer Karmin)  D035
10.30 -11 Pause
11–12.30 Ateliers en parallèle
- Cross-Fertilization: Ab/using Adaptation (pratiques artistiques/réflexion critique) (Jeffrey DeShell, Yuriy Tarnawsky, Andy Mingo, Tim Guthrie, Andi Olsen)  D035
- Poor Witnesses: text and image (pratiques artistiques/réflexion critique) (Suzanne Doppelt, Julie Carr, Nicolas Pesquès, Andrew Zawacki)  D223
- Le dispositif : questions d’action poétique 2 (pratiques artistiques/réflexion critique) (modérateur Geneviève Cohen-Cheminet)  D116
Franck Leibovici
Olivier Quyntin
12.30 – 14.00  Déjeuner
14.00 – 15.30  Ateliers en parallèle
- Dark Matter: Cultural Narrative and the Fiction of Crisis (pratiques artistiques/réflexion critique) (Dimitri Anastasopoulos and Christina Milletti)  D223
- If you cut me do I not bleed magnetorheological fluids?”: Literature Beyond Human Beyond Literature (performance/réflexion critique) (Debra DiBlasi, Davis Schneiderman, Sam Witt)  D035
- Performances: Tender (Marina Blitshteyn); CNSDSTRBTD (Theodoros Chiotis); Queerskins (Illya Szilak) (modérateur Julie Vatain)  D116
15.30 – 16.00  Pause
16.00 – 17.30  Ateliers en parallèle
- Performances: Dwelt (Mimi Cabell and Nalini Abhiraman); QuantumVoice (Judith Roof); Models for Raising the Dead (Maya Sonenberg) (modérateur Gwen Le Cor)  D223
- Exchanges and Cross-Fertilizations Mapping the Field: Four Perspectives on Aleph Null (pratiques artistiques/réflexion critique) (Jim Andrews, Leonardo Flores, Mark Marino, Giovanna di Rosario)  D116
- Carte blanche à Oliver Rohe (lecture et réflexion critique)  D035

19.30 Lecture collective organisée par doublechange, Galerie éof, 15 rue Saint Fiacre, 2ème arrdt :
Nick Thurston (UK), Christian Bok (Canada), Carlos Soto-Roman (Chile), Marco Antonio Huerta (Mexico), Paal Bjelke Andersen (Norway), Franck Leibovici (Fr), Swantje Lichtenstein (Germany) and Vanessa Place (US).


Vendredi 8     Institut d’anglais Charles V, 10 rue Charles V, 4ème arrdt, rooms A42, A43, A44
9.00  Ouverture par Antoine Cazé
9.15 – 10.45  Ateliers en parallèle
- Performances: There he was, gone: a poli-vocal performance (J. R. Carpenter) Performance in/with Digital Text (Jerome Fletcher) RC_AI & Purloined Packets (Judd Morrissey)  A42
- Performances: White Inc (Laura Mullen); Hologrammatic Sound/Picture Theory (Judith Roof); Fair Shouldered One (Crystal Gandrud and Nuala Clarke) (modérateur Steve Tomasula)  A43
- Rencontre avec Karen Tei Yamashita, animée par Françoise Palleau (lecture et réflexion critique) A44
10.45 – 11.15   Pause
11.15 – 12.45 Ateliers en parallèle
- Architectures of Absence (pratiques artistiques/réflexion critique) (Jason Brown, Amina Cain, Lee Ann Brown, Amaranth Ravva)  A42
- Performances: Sea and Spar between (Nick Montfort); Enter:in’ Wodies (Zuzana Husárová); Three Rails & Katastrofitrilogien (Roderick Coover, Nick Montfort, Scott Rettberg) (modérateur Debra DiBlasi)  A43
- Carte blanche à Nicole Caligaris, avec Bernard Hoepffner (lecture et réflexion critique) : écrire et lire Gilbert Sorrentino.  A44
12.45 – 14.15  Déjeuner
14.15 – 16.15  Université Paris-Sorbonne, Amphithéâtre Michelet
Ben Marcus : Conférence et table ronde (Mary Caponegro, Antoine Cazé, Robert Coover, Karim Danoune, Lance Olsen, Stéphane Vanderhaeghe)  modérateur Davis Schneiderman Michelet
16.15 – 16.45  Pause
16.45 – 18.15  Table ronde : What is the contemporary ? (Emmanuel Cyriaque, Brigitte Félix, Jean-Jacques Lecercle, Steve Tomasula, animated by François Cusset)  Michelet
18.15 -19.15 Cocktail au Club des Enseignants
19.30 – 21.00  Lectures  Amphithéâtre Michelet
Mary Caponegro, Brian Evenson, Karen Tei Yamashita, présentés par Anne Ullmo, Eric Athenot et Françoise Palleau   Michelet


Samedi 9  Université Paris-Sorbonne   (Amphithéâtres Michelet et Quinet ; Bibliothèque Louis Bonnerot)

9.00 – 10.30  Ateliers en parallèle
- Signe traversant: Interpretation and Transformation in Les vases communicants (Iain Matheson); Geiser Enters my Room (Azareen Van der Vliet Oloomi); Music for Porn (Rob Halpern) (pratiques artistiques/réflexion critique) (modérateur Anne-Marie Miller-Blaise)  Michelet
- The collaborative moment(s) (réflexion critique) (Debra DiBlasi, Davis Schneiderman, Jerome Orsoni, Lance Olsen, Anne-Laure Tissut)
- Transatlantic Transport: The Ecstasies of Feminine Influence (réflexion critique) (modérateur Amy King; Ana Božičević, Alexander Dickow, Amina Cain, Laura Mullen)
10.30–11  Pause
11–13  Robert Coover : Conférence et table ronde  (Mary Caponegro, Rikki Ducornet, Brian Evenson, Thalia Field, Bernard Hoepffner, Ben Marcus, Maya Sonenberg, Steve Tomasula; modérateur  Stéphane Vanderhaeghe)
13.00 – 14.15  Déjeuner
14.15 – 15.45   Ateliers en parallèle
- Lecture flash FC2 : Jeffrey Deshell, Brian Evenson, Noy Holland, Lance Olsen, Elisabeth Sheffield, Susan Steinberg, Steve Tomasula, Yuriy Tarnawsky.  Quinet
- Translation as social and aesthetic practice: a round table (réflexion critique) (modérateur Rob Halpern): Vincent Broqua: "Translation as Practice-Based Research"; Sarah Riggs: “Translating Birds & Prison in Oscarine Bosquet's Rosa Luxembourg”; Norma Cole: "Translation and the Gesture of Awareness: A Neuroscientific Tale"; Abigail Lang: "A Touchstone in French Poetics: the Reception of the Objectivists"; Rob Halpern: "Nonmastery and Partisanship: Translating Georges Perec's Early Essays"  room E655
- Lectures: Margo Berdeshevsky, Jérôme Orsoni, Giannina Braschi (modérateur Jagna Oltarzewska)    Louis Bonnerot
- Carte blanche à Patrick Deville (lecture et réflexion critique)  Michelet
15.45-16.15 Pause
16.15 – 17.15  Concert de Jazz   "An American Voice: Charles Mingus Today by Ted Curson"
Ted Curson (trompette, chant), Joe Makholm (piano), Nicola Sabato (contrebasse), John Betsch (batterie)   Quinet



Dimanche 10   13.00 - 20.30  à l’ENS 29 rue d’Ulm, 75005 Paris. Salle Dussane, Amphithéâtre Rataud, Théâtre
13.00 Ouverture par Agnès Derail (salle Dussane)
13.1515.00 Lectures et performances en parallèle
- Performances: Cornelius Jones; Christophe Lamiot; Lost in translation (Katrina Otuonye) (modérateur Karim Danoune)
- Constrained reading (pratiques artistiques/réflexion critique) (Tom La Farge) (Daniel Levin Becker, Doug Nufer, Wendy Walker)
15.00-15.30 Pause
15.30 – 17.00 Lectures en parallèle (Dussane et Rataud)
- Hold the Tigers: MFA Work from Columbia & Brown (Nalini Abhiraman, Rebecca Ansorge, Mimi Cabell, Hilary Vaughn Dobel, Joshua Daniel Edwin, Julia Madsen, Vi Khi Nao, Erin O’Brien, Renee Risher, Sam Ross, Ashley Toliver, Lauren Wilkinson)
- Quaquaversal Ipsicentric X-axis Own-Time Equation: Writing as Rhythm/Time as Music: a Reading by four Fiction Writers (A.B. West, Rebecca Goodman, Yuriy Tarnawsky, Martin Nakell) 
17.15 – 18.30 Performances (Théâtre)
17.15 - 17.45 Love Letters (danse)  (Brigette Dunn, Melanie Mah)
18.00 – 18.30 Three Trees (pratiques artistiques/réflexion critique) Alvin Eng, Wendy Wasdahl)
19.15 – 20.30 Carte blanche à Claro (Théâtre)


NB : Lors des sessions en français, un résumé traduit du propos ou/et un extrait traduit de la lecture seront distribués. L’interprétariat sera assuré pour les questions/réponses.

mardi 29 mai 2012

Roule, Véro, roule!

Mystère de la promotion… énigme du lancement… et règne du vroum-vroum ! En parcourant un hebdo féminin, voilà qu'on tombe sur une de ces fameuses pages intitulées "communiqué", terme qui, par sa beauté simpliste, désigne une forme de pub élaborée qui ne se borne pas à la simple exhibition d'un produit, croit-on savoir. Ledit communiqué laisse, précisons-le, pantois. De quoi s'agit-il? Un coup de pub multiplié par deux! Lisez vous-même:
"Renault vous offre en avant-première la nouvelle inédite de Véronique Ovaldé 'Réjouissez-vous!': lisez vite la vie de Rose Lapeyre, un véritable petit guide 'anti-morosité' à l'usage de tous! Salutaire! Renault soutient la littérature et inaugure avec 'Réjouissez-vous!' la nouvelle collection Carte blanche littéraire à paraître chez Albin Michel. Un premier titre sur le thème de l'optimisme et la joie de vivre à l'occasion du lancement de la Nouvelle Twingo."
En prime, on a droit à un extrait de la pimpante nouvelle – 37 mots… – et un entretien avec Véronique Ovaldé, qui nous explique en quoi la Twingo est, pour son personnage, un symbole d'anti-morosité. Alors forcément on tique. Parce que, bon, je veux bien que Renault soutienne la littérature, c'est son droit, à défaut d'être sa fonction, même si franchement la littérature devrait pouvoir survivre sans l'aide d'un fabricant d'automobiles. Mais là, ce qui se passe sous nos yeux a priori blasés, c'est le contraire. C'est la littérature qui aide Renault ! On n'attend pas de l'heureux propriétaire d'une Twingo qu'il se rue sur les œuvre d'Ovaldé, bien sûr que non, en revanche il est clair qu'on espère que le lecteur d'Ovaldé soit titillé par l'envie de rouler en Twingo – selon ce sacro-saint principe publicitaire qui veut qu'une femme donne envie de s'acheter une voiture. Le communiqué, d'ailleurs, nous donne plein de détails techniques sur la Twingo, alors que côté Ovaldé, on saura  qu'elle a eu deux prix, mais on ne nous précise aucun titre de ses ouvrages… Ah pardon, j'oubliais, on apprend que Véro signera son livre de 15h à 17h à l'Atelier Renault des Champs-Elysées. On l'imagine déjà, penchée sur la page de garde, en train de suçoter l'embout de son stylo, entourée par de rutilantes Twingo sentant bon le skaï et le plastique.
Je crois savoir que Véronique Ovaldé gagne bien sa vie avec ses livres. Quel besoin a-t-elle eu de se lancer dans cette croisade à quatre roues? Possède-t-elle même une Twingo? A-t-elle même le permis de conduire? En tout cas, elle a le permis de vendre, ça ne fait pas un doute. Le papier au secours du pneu, il fallait y penser. D'autant plus que, dans son entretien, Véro s'explique sur sa démarche:
J'aime ce type d'exercice. Cela m'amuse et me délasse. Ecrire un texte sur l'optimisme était une gageure pour moi.
Euh, comment te dire, Véronique, mais l'exercice ne consistait pas à écrire un texte sur l'optimisme, il consistait à faire de la pub pour Renault. Personne ne te l'a dit? Ah mais quels cachottiers ces éditeurs! Enfin, maintenant, on sait au moins qu'un écrivain à pieds qui n'aime pas communiquer, c'est morose.

vendredi 25 mai 2012

Tarzan étalé

Il y a 33 ans, Hervé Prudon publiait Tarzan malade. Mais bon, Philip José Farmer avait déjà ouvert le bal 7 ans plus tôt avec Tarzan alive. L'homme au slip panthère a toujours titillé les neurones des écrivains. Son cri, sa liane, sa Jane. Ecrit à la truelle par un Edgar Rice qui jamais ou presque ne mit les pieds en Afrique, décliné très vite en BD par Hogarth et consorts, mais toujours sous contrôle des héritiers thuriféraires, le Blanc qui crie et fait le singe inspire autant qu'il broie le Noir. La conscience occidentale l'a ingéré, la pop culture l'a digéré, les journaux l'ont abrégé. Le hasard des publications, qui est au livre ce que la malédiction est aux momies, veut que trois livres lui rendent un hommage intermittent: Avant, d'Emmanuel Hocquard (cipM), Mon cri de Tarzan, de Derek Munn (éd. LaureLi), et enfin En Tarzizanie, d'Orion Scohy (P.O.L.).
Hocquard est Hocquard est Hocquard. Lui suffisent deux photogrammes de la série télévisée avec Johnny Weissmuller, où ce dernier dirige le dextre index vers un glabre poitrail. Commentaire de Hocquard:
"Moi Tarzan, toi Jane." est aussi une phrase. Son principal intérêt tient à l'ellipse du verbe être, qui est remplacé par l'index pointé de Jane ou de Tarzan. Montrer du doigt est un sens possible du verbe être.
Commentaire qui va dans le sens et la relance de ce que nous remarquions hier chez Pascal Poyet avec le verbe "toucher". On peut certes être plus disert sur Tarzan mais en fait, non, ça suffit largement. Tout est dit.
Le roman de Derek Munn, lui, n'a bien sûr rien à voir avec Tarzan, sinon que son personnage locuteur débarque en Afrique sans en maîtriser les impressions mais avec une caméra. Et qu'il n'a rien à raconter, ce qui est le sujet de son film, qui est le sujet du livre, qui avance comme on empile des cils sur un œil dans l'espoir que naisse un clin d'œil qui puisse raconter un regard mais ce n'est bien sûr pas aussi simple.
Orion Scohy, dont Volume en avait impressionné, paraît-il, plus d'un en 2005 pour des raisons qu'on espère autre que typographiques, revient de loin avec ce "roman d'aventures pour enfants séniles". Seul problème, mais de taille, son livre est vraiment "pour enfants séniles". Moi lecteur, toi Malin? Aïe. Treize ans des grand signes? Je sais rimer mieux que Greystoke sauter de liane en liane? "Ainsi donc meurent les génies et naissent les légendes" (p. 112). Oui, bon, bien sûr, Tarzan sous toutes ses coutures, sans autre souci que le ravaudage sonore et bêtifiant du retour fort peu prodige à la ligne, le tout assisté par ordinateur comme la pire invite d'anniv où tu utilises plein de polices, avec interventions dactylogavantes de l'auteur en perpétuel auteur du livre qu'on est en train de lire, parce que le post-modernisme tagada c'est maintenant. Le propos fait parfois quelques apparitions, comme un chimpanzé qui vient d'acheter une pirouette.  Tarzan par Scohy, c'est un peu (beaucoup) le Petit Prince vu par un Garcimore oulipien. On décline Tarzan, on décline son nom, on décline ses avatars, bref on décline, et au final on ne fait que décliner, avec le même entrain que l'empire romain. L'emballage est moderne, la page chante (faudrait être sourd pour ne pas l'entendre brailler…), le fil de la plume s'ingénie à nous rappeler qu'il y a écriture, et donc réflexion, et aussi peut-être ennui et filiation. Est-ce cela, l'infini remplissage de la page en temps de crise littéraire? On ne sait pas. Mais on sent derrière la laborieuse exhaustivité ludique du projet un désir de rien sidéral, sous-tendu par une inventivité qui relègue Vermot au rang de khâgneux cacique. S'épateront qui n'en veut.
Bref, Tarzan c'est peut-être la jungle mais c'est pas la joie. A se demander si Edgar, son créateur, n'a pas eu un jour eu l'idée revigorante de lâcher Jane et liane afin de se défoncer les rutilantes veines à coups de  virus-langue pour mieux écrire, transfiguré, le terrible menu d'un festin impossiblement nu.

jeudi 24 mai 2012

Tanger facétie: la distance selon Poyet

Le Centre international de poésie Marseille – le CIPM – accueille des poètes en résidence dans une ville d'un pays des bords de la Méditerranée, et une collection, "Le Refuge en Méditerranée" témoigne de ce programme. Plusieurs titres sont déjà parus, dont Un sens facétieux, de Pascal Poyet.
Un sens facétieux se veut une "cogitation dans la représentation du sens". Poyet s'interroge d'abord sur les notions de distances physiques et distances sémantiques, sur ce qui fait qu'une tasse est proche d'une cuiller par le sens même si les deux objets sont éloignés. Attentif au dialogue qu'entretiennent ces deux distances, Poyet, dans une prose millimétrique, tout en questionnements et hypothèses, reprend les habits cartésiens mais avec une grâce toute barthésienne pour approcher au plus près d'une éventuelle intention sémantique des objets, dans leurs déplacements et dispositions. Ainsi, de cette image arrêté tangéroise:
"Sur le trottoir, un verre de thé et un paquet de cigarettes à l'intérieur du plus haut de deux moellons superposés recouverts d'un morceau de carton en guise de siège – ces objets veulent dire: je reviens."
Poyet étend alors sa réflexion à la phrase, dont il rappelle qu'elle est, selon Benveniste, "un événement évanouissant". Il s'interroge également sur l'impossibilité de "vider un mot", puis en vient à considérer le verbe et sa fonction, en prenant l'exemple du verbe "toucher". Le verbe "toucher" ne peut être réduit à un verbe désignant un contact. Il existe une infinité ou presque de gradations dans le toucher, ce qui fait qu'on devrait concevoir un "toucher doux", un "toucher ouste", un "toucher pardon", un "toucher enfin", un "toucher merci", etc.
Dépliant le langage et ses ruses en prenant soin de ne jamais rien trancher, Poyet livre ici une sorte d'éloge de la vibration – vibration du mot, du sens, de la chose – sans quitter de vue le lieu d'où il parle, à savoir Tanger, la ville revenant dans le discours à la façon d'un centre nomade qui oblige à sans cesse décaler la périphérie du dire, et l'on comprend alors parfaitement ce que veut dire Poyet quand il écrit: "Un changement de sens est un changement de position, dans un sens facétieux." Car le sens lui aussi aime à distraire. De quoi? De lui-même? De nous? De la distance qui nous sépare de lui? C'est tout l'enjeu de ce livre minutieux.

mercredi 23 mai 2012

Agee en son âme et Brooklyn

On imagine sans peine la mine consternée des pontes du magazine américain Fortune lorsque, après avoir passé commande en 1936 à James Agee d'un article sur les conditions de vie des métayers blancs du Sud des Etats-Unis, ils reçurent sur leur bureau ce livre extraordinaire qu'est Louons maintenant les grands hommes. Leur refus fut aussi immédiat qu'unanime. Mais, curieusement, ils remirent ça en 1939, à l'occasion d'un numéro spécial sur New York. "Allô, James, tu pourrais nous écrire un petit truc sur Brooklyn?" Agee n'hésita pas une seconde, loua un appart pourri à St James Place, à côté de Flatbush Avenue, et entreprit de sillonner Brooklyn, interrogeant ses habitants, méditant, prenant des notes. Hélas, une fois de plus sa prose décontenança les patrons de Fortune. "It's too strong to print", dirent-ils après avoir refusé l'article. C'est trop puissant, trop intense, on ne peut pas imprimer ce truc. Il faudra donc attendre 1968 (!) pour que le texte paraisse en revue, dans l'audacieux Esquire. Mais ce n'est que 66 ans après avoir été écrit que ce chef d'œuvre de poésie urbaine, long de dix mille mots, paraîtra sous forme de livre…
Cette ode à Brooklyn, Sud-est de l'île: carnet de route – dont le titre original est: Brooklyn isBrooklyn existe, ou, peut-être, Brooklyn est — à compléter… –, paraît aujourd'hui en français dans une traduction impeccable d'Anne Rabinovitch chez Christian Bourgois éditeur, dans la collection Titres (8 euros), accompagné d'une préface de Jean-Christophe Bailly. Hourrah!
C'est une course ininterrompue dans les rues de cet "arrondissement" pas comme les autres, aujourd'hui quatrième ville des Etats-Unis, une succession d'instantanés précis et fiévreux, où l'œil d'Agee explore la psychologie des façades et l'architecture des silhouettes en faisant appel à tous les sens. Sensible à "l'énergie magnétique" de Brooklyn, Agee  dégage lignes de force et de faille, détaille les commerces et les rêves, avec une ironie souvent affectueuse, par grandes nappes anaphoriques dignes de Whitman ou de Hart Crane. Les images pétillent, le trivial titille le sublime, les matières sont nommées, les expressions saluées. Agee évolue dans Brooklyn tel un explorateur dans la jungle, guettant la grâce animale, le mystère des attentes:
[…] et dans la rue les cris arrogants des enfants, les yeux plissés des pères, les beautés déliquescentes des jeunes épouses, la consécration des anciens et, embusqué derrière les stores tremblotants de cinq mille fenêtres de rez-de-chaussée, le regard de femmes vieillissantes noyées dans leur mélancolie qui fixent la rue à une voie, où se lit la lassitude d'une lionne au fond d'un zoo par une chaude après-midi […]
Le texte avance par cahots et glissements, tram inspiré qu'aucun décor ne rebute, attentif aux enseignes et aux graffiti à la façon d'un voyou rimbaldien, tâtant les étoffes et retranscrivant les grincements, retournant les ordures, convoquant Dante et Michel-Ange, s'égarant sur les docks pour y contempler "un énorme Diesel réparé hissé sur un camion" qui évoque aussitôt "un cœur arraché au milieu de la rue", truffant sa description d'apartés entre parenthèses comme si un chœur malin suivait de loin cette foraine et chahuteuse symphonie urbaine, ralentissant enfin la cadence quasi industrielle de la prose pour, dans les dernières lignes, en fin de journée, dans les plis du crépuscule, s'attarder sur les "étreintes charmeuses des ratons laveurs rondelets et masqués" du zoo et admirer les fauves aux yeux aussi "ravissants que ceux des girafes ou des héroïne victoriennes" !
Ne reste plus au lecteur de ce texte enchanteur qu'à imaginer, dans la ménagerie de son crâne, les photos qu'auraient pu nous laisser le complice d'Agee, Walker Evans…
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La photo reproduite plus haut est d'Edouard Boubat (©).

mardi 22 mai 2012

Traduire Byron derrière les barreaux

C'est un tout petit livre, une vingtaine de pages, mais qui raconte une histoire immense, terrible. La Traductrice, d'Efim Etkind, est un court témoignage récemment paru aux éditions Interférences. Traduit du russe par une traductrice (bon, ça c'est normal, et en plus elle s'appelle Sophie Benech, donc c'est parfait), écrit par un traducteur russe (qui soutint Brodski et Soljénitsyne…), le livre raconte l'histoire d'une traduction de l'anglais au russe (celle du Don Juan de Byron) par une traductrice russe (Tatiana Gnéditch), lointaine descendante d'un illustre traducteur russe (celui-là même qui traduisit L'Iliade en hexamètres dactyliques), une traduction faite en partie dans la tête de la traductrice internée en camp, puis retranscrite de mémoire et écrite en cellule pendant deux ans, puis envoyée au traducteur russe Lozinski qui la montra au traducteur russe Etkind… 
On l'aura compris, une traduction est l'histoire d'une chaîne, une histoire de relais, d'amitiés, de soutiens, de solitudes et de partage. Parfois, elle est aussi l'histoire d'un naufrage dont on s'étonne qu'on ait pu survivre. Le destin de Tatiana Gnéditch, qui n'eut que Byron pour résister à la pression mortelle des camps, n'est pas seulement poignant. Il nous rappelle qu'un tas de feuilles, précieux comme la vie et pressé fiévreusement contre le corps, peut empêcher ce dernier de sombrer:
"Elle fut expédiée dans un camp où elle purgea les huit années qui lui restaient, du premier au dernier jour. Elle ne se séparait jamais de son manuscrit. Les précieux feuillets avaient couru bien des dangers: "T'as fini de nous emmerder avec tes papiers à la con?" braillaient ses voisins de châlit. Elle avait réussi à conserver son manuscrit jusqu'à son retour, jusqu'au jour où elle s'est retrouvée chez nous, perspective Kirov, devant une machine à écrire, à retaper son Don Juan."
Et quand des années plus tard, le Don Juan de Byron fut monté au théâtre par Akimov et que le public applaudit à tout rompre en réclamant "l'auteur", le metteur en scène fit signe à une femme voûtée de monter sur scène pour saluer un public de lecteurs. Tatiana salua avant de s'évanouir, victime d'un infarctus. Elle survécut, enterra Staline et s'éteignit en 1976.
Alors, oui, vous qui écrivez du fond de la plus dépouillée nécessité, de grâce, n'en finissez pas de les emmerder avec vos papiers à la con.

lundi 21 mai 2012

Richepin au turbin, c'est divin

Les excellentes éditions du Vampire Actif ont eut la bath idée de rééditer un recueil de nouvelles écrit par un académicien français, euh non, pardon, par un chansonnier, ou plutôt par un joueur de grosse caisse, à moins qu'il s'agisse d'un lutteur de foire ou d'un docker, bref, par un écrivain qui était tout sauf un Aztèque et avait de la retourne, un camerluche de la prose capable encore de nous esbloquer avec son grand art de merlifiche, et pas stropiat de la plume pour un sou: Jean Richepin.
Truandailles – le mot désigne une tribu composée aussi bien de truands que de clochards et de gueux – vaut qu'on y plonge le blaire. On le sait, Richepin était un passionné d'argot, et ses nouvelles, qui fleurent parfois le Maupassant ou le Villiers de l'Isle-Adam, s'en distinguent par leur souci d'expressionnisme vernaculaire. Mais la prose de messire Jean est également remarquable par sa musculature. En ex-lutteur, il avance dans la foule des mots à coups de poing d'exclamation. S'il ne méprise pas la chute et le retournement, son grand avantage, c'est la liberté de mouvement. Il ne cisèle pas, il taille. Il aime l'errant, le vagabond, ce qui défie le fixe. Même sa langue se méfie de la nature morte, comme dans ce morceau de bravoure où il s'efforce de caractériser les oreilles d'une personne "d'une laideur laidement laide":
"Hum! Brumeux! Est-ce le mot juste? Un regard brumeux, oui; des yeux brumeux, passe; même une barbe en brouillard, cela encore on se le figure, à la rigueur; mais des oreilles brumeuses, et surtout un nez brumeux, est-ce facilement imaginable? Je ne sais trop; et pourtant il faut bien me contenter de cet à peu près. Plus je réfléchis à ce visage, moins je le trouve adjectivable."
On le voit, l'art de la chute n'est pas ici dans le tricotage de l'intrigue mais dans la phrase devenue pichenette.
On trouvera dans ce bouquet feuillu de quoi se papillonner l'arrière-gosier. On y croisera des monstres de foire embarrassés par des choquottes un lanceur de couteaux dont jamais la lame vengeresse ne dévie, un avorton contraint de rengainer son amour, une duchesse en quête de consécration, un douanier et ses mâtins, etc. Richepin, en grand ennemi des "idées chauves", s'avance nus pieds et tête haute dans la forêt des hommes, ange greffier marchant dans la foulée des parias.
Mais la nouvelle la plus étonnante de ce recueil est située dans des temps très antérieurs aux chiffes bancroches et aux gosselines mariolles. Elle narre, entre massue et mammouth, la violente et nécessaire naissance de la casquette, et l'on se dit qu'Alexandre Vialatte aurait aimé la signer:
"Loin, loin, très loin sur les ténébreux limbes des époques préhistoriques! En un temps plus ancien que l'ancien temps des derniers déluges! Avant la série des périodes glaciaires qui firent émigrer d'Europe en Afrique l'éléphant et l'hippopotame, et qui poussèrent du Nord dans nos forêts le bœuf porte-musc, le rhinocéros aux narines cloisonnées, le renne aux troubles prunelles de myope et le gigantesque mammouth à l'échine chevelue, aux flancs feutrés de laine rousse! Loin, loin, en reculant de plus e plus vers le primordial horizon dont le plan brumeux et vague donne une apparence toute voisine de nous, brutale et crevant les yeux, aux si jeunes Pyramides et aux légendaires histoires, ridiculement contemporaines, d'Ashshour-Bani-Abal, et de Nabou-Koudour-Oussou. Loin, beaucoup plus loin, non pas même par delà de simples centaines, mais par delà quelques bons milliets de siècles! A l'âge de la terre où les continents et les océans n'avaient point leur figure actuelle, si bien que la transitoire mappemonde d'aujourd'hui, en se regardant au miroir d'alors, se prendrait pour une autre planète! A l'âge de la terre que l'Himalaya lui-même doit trouver immémorial! A l'âge du ciel où les sept étoiles gelées ne pouvaient pas encore servir à fixer le clou d'or qui marque le nombril du pôle! Loin, loin, très loin sur les ténébreux limbes des époques préhistoriques!"
Si, après ça, vous hésitez encore à acheter ce livre, c'est que vous êtes une gniolle.







samedi 19 mai 2012

Voyant voyageant à Java (2) — l'énigme du janbon-d'hommes [sic]

Dans l''essai-récit que consacre Jamie James à Rimbaud (Rimbaud à Java, éditions du Sonneur, trad. Anne-Sylvie Homassel)) figure une petite énigme qui ne laisse pas d'intriguer l'auteur. En effet, pages 81-82, James cite une lettre d'un ami de Rimbaud, Ernest Delahaye, lettre adressée à Ernest Millot dans laquelle l'un annonce à l'autre le retour du fugueur après son périple javanais. La missive est accompagnée de petits dessins que Delahaye présente ainsi:
[…] je me contente de te coller ci-joint quelques janbon-d'hommes [sic] absolument authentiques.
Ce terme de "janbon-d'hommes" intrigue à juste titre Jamie James qui lui consacre alors une note en bas de page:
L'expression "janbon-d'hommes" fait référence aux caricatures que Delahaye joignit à sa lettre et dont nous donnons un exemple page ci-contre. A l'heure où j'écris, elle n'existe que dans cette seule lettre, si l'on se fie aux recherches effectuées dans l'univers électronique. Aucun chercheur français n'a, à ma connaissance, commenté cette invention verbale – à moins qu'il ne s'agisse d'un lapsus de plume. Mais que déformerait-il? Les traductions en anglais passent le mot sous silence. J'offre une récompense à qui éclairera ma lanterne. (NdA).
La perspective d'une récompense – peut-être une invitation dans un des deux restaurants que tient Jamie James avec son compagnon à Kerobokan (Bali) ? – ne nous a évidemment pas laissé indifférent, car nous avons horreur de tous les métiers et l'honnêteté de la mendicité nous navre. Nous proposons donc à Jamies James l'explication suivante:
Derrière ce mystérieux "janbon-d'hommes", il faut peut-être entendre, paronomastiquement, "Jean bonhomme". Ce dernier terme, lorrain et franc-comtois, donc familier de Delahaye, désigne un petit pain au lait en forme de petit bonhomme, qu'on appelle mannala à Mulhouse et mannele à Strasbourg. Autrement dit, un esquisse, une caricature d'homme, vite cuite vite dessinée… Ce qui semblerait coller avec le sens qu'attribue l'épistolier à ses crobards. Mais pourquoi, en outre, cette orthographe étrange après déplacement paronomastique? Pourquoi ce "janbon" en lieu d'un plus comestible "jambon"? A l'époque de Delahaye, "Jambon" était un nom de famille assez courant en France, qu'on trouvait parfois orthographié "janbon" dans certaines régions, en particulier dans la Meuse, région plus que familière à Delahaye. Peut-être avait-il une connaissance commune avec Millot qui portait ce nom? Peut-être la graphie l'amusait-elle, dans un esprit qu'on pourrait qualifier de post-zutique?
J'ignore si cette explication tient la route ni si elle satisfera l'auteur (si jamais ce post parvient à ses yeux balinais…), mais en tout cas je serais ravi de connaître le menu que propose Jamie James aux clients de son restaurant quand le soleil taché d'horreurs mystiques descend en longs filaments violets sur les reliefs vibrants de Kerobokan…

Voyant voyageant à Java (1)

L'essai de Jamie James – Rimbaud à Java – que viennent de publier les éditions du Sonneur est de l'ordre de l'enchantement. Non seulement l'auteur s'attache à un épisode obscur de la vie du poète, qui après s'être engagé dans l'armée coloniale hollandaise embarqua pour Java puis déserta, mais il parvient, en l'absence de documents de première main rimbaldienne, à nous restituer ce hiatus biographique avec une exactitude cristalline. Se fondant sur des témoignages, des récits, des descriptions du Java du dernier quart du dix-neuvième siècle, James reconstitue, sans jamais délirer dans l'extrapolation, la matérialité synesthésique de cette île indonésienne où, attiré par le gain ou la simple soif d'ailleurs, l'auteur du Bateau ivre s'en alla échouer. Mais bien sûr, James ne fait pas que cela. Il nous retrace la vie du poète avant cette étrange escale, et ce avec une placidité et une subtilité qui au début déconcertent puis intriguent et enfin ravissent. Jamais il ne s'emballe au point de chausser, à pointure amoindrie, les semelles de vent du jeune fugitif. Plutôt, il l'accompagne à son rythme, le précède même afin de camper le décor, riche et documenté, qu'il lui faudra traverser.
James aurait pu faire de cette parenthèse indonésienne un insupportable roman où le lacunaire se laisse honteusement occupé par l'imaginaire, où la reconstitution se vautre sur la paillasse de l'ignorance, et où la spéculation se met à danser la danse du ridicule. Il a d'ailleurs tenté l'aventure avant de se raviser, conscient que faire de Rimbaud un personnage de roman serait gâter le fruit unique dont il traquait l'intime maturation. Il a donc renoncé à son projet romanesque et préféré prendre la plume de l'ami enquêteur, en procédant par cercles et nappes de plus en plus vastes, jusqu'à ce que son essai s'ouvre aux leurres et aux lignes de fuite de l'échappée orientaliste. 
On lira donc son Rimbaud à Java comme le récit d'un déserteur, mais d'un déserteur qui ne déserta pas que les rangs d'une armée brouillonne, composée d'éthyliques pioupious, puisque, si désertion il y eut pour Rimbaud, il faut l'étendre à plus d'un champ, et la laisser rayonner dans son mystère. James, d'ailleurs, s'aventure avec sérénité dans une hypothèse quant au silence rimbaldien, qui vaut ce qu'elle vaut:
Au lieu de méditer parmi les exquises subjectivités de la "vieillerie poétique", il s'était engagé dans une quête plus grandiose encore: tout connaître ici-bas. Il maîtrisait les langues modernes comme il avait, enfant prodige, maîtrisé le latin et le grec ancien. Il apprendrait les sciences et les techniques de son époque, comme s'il se préparait à recréer un nouveau monde à partir de zéro. Il verrait le réel de ses propres yeux, sans aucun filtre.
On peut ainsi se demander s'il n'existerait pas, pour chaque écrivain, un point Rimbaud (un peu comme on dit un point Godwin), et qui serait ce moment où l'écrivain sait qu'écrire n'est plus de mise, plus comme ça, parce que les pages écrites ont d'elles-mêmes effacé toutes les traces et qu'il est temps de se décaler autrement dans le monde. Un point non de rupture mais d'effacement. Un "would prefer not to" qui prend son envol pour s'en aller fricoter avec d'autres acquiescements.
Il convient enfin de saluer la traduction d'Anne-Sylvie Homassel, par ailleurs écrivaine, traduction qui est un modèle de perfection, de grâce et d'empathie, à la fois transparente et charpentée. On le sait, l'essai-récit est un exercice hautement périlleux pour le traducteur ou la traductrice, et ce Rimbaud à Java est une merveille du genre à cet égard.

vendredi 18 mai 2012

L'arche d'amour: Senges à la mer

Difficile de parler du dernier livre de Pierre Senges, Zoophile contant Fleurette (Cadex Editions). Difficile, et quasi impossible, puisque déjà l'ont fait Stéphane Audeguy, dans sa préface au livre, et Eric Chevillard, dans un article paru dans Le Monde, le premier avec une malice et un art de l'oxymore inégalables, le second avec une bienveillance et une justesse qui placent la barre exégétique assez haute. On n'en parlera donc pas, on gardera le silence, on évitera le piège qui consisterait à divulguer l'argument du livre (Noé ensemençant la faune au gré des courants qui emportent sa nef afin de préserver les multiples espèces animales), tout comme le piège qui consisterait à commenter la nature de sa prose (s'attarder, par exemple, sur le procédé éminemment littéraire de liste, ou sur l'humour fonctionnant à l'allusif ou au déplacement). Oui, il serait vain, après Audeguy et Chevillard, de revenir sur ce qui fait la cinglante et faussement naïve particularité de l'auteur, tout comme il serait vain de décortiquer telle ou telle entrée de son catalogue zoophile, qui n'est bien sûr pas un éloge des amours à poil, écailles ou cuir, ni une tentative hagiographique censée éclairer un pan aussi obscur qu'aqueux de la vie de Noé. Cet effort nous est épargné, et l'on s'en veut de ne pas avoir fait pâture de cet opuscule avant que ne s'abattent sur lui ces deux grandes mangoustes de la littérature contemporaine que sont Eric et Stéphane. Car à quoi bon rappeler au lecteur, désormais averti, prévenu, hélé, que le livre de Pierre Senges est d'une drôlitude insensée, à la fois douce et amère, à quoi bon souligner la millimétrique ambition de sa phrase qui semble, rhétorique aidant, déguster son sujet comme un cannibale son petit-neveu? On ne peut que renoncer à louer son art de la nuance, nuance qu'il manie pourtant avec l'ingéniosité d'un fabricant de curare. Bref, on conviendra avec moi que l'art, à défaut d'être aisé, n'a pas la démarche tortue de la critique. Et l'on voudra bien me pardonner ma prudence et admettre que, face à un ouvrage qui raconte, sans complexe ni lacune, la grande aventure de la zoophilie pendant le Déluge, je ne puis me permettre de sacrifier à la fastidieuse et parfois douloureuse méthode (et pratique) que d'aucuns ont baptisée, non sans une surprenante acuité visuelle et tactile, la sodomisation des mouches. D'une part, parce que les ailés muscidés auraient du mal à exprimer leur gratitude après pareil traitement, et en outre parce que cela obligerait Pierre Senges à commenter une fois de plus une espèce dont il a pourtant dit, de façon définitive :
"La mouche: encore maintenant, il est presque impossible de dire où, et comment, et combien de temps, et dans quelle posture, et si cette nervosité suivie d'abattement était bel et bien des noces." (p.32)