mardi 31 janvier 2012

Hélène Bessette: ou la preuve par Si

" On ne s’habitue pas à Bessette. On ne l’apprivoise pas. Elle est dévoration, esquive, feu follet, ni Duras ni Stein, mais seule comme Artaud, mais autre, otage d’une langue qui réinvente la liberté en shuntant, au sens électrique, le courant syntaxique imposé par la frivole aventure romanesque. Chacun de ses livres met à mal l’histoire littéraire, anticipant des ruptures qu’on croyait acquises, innovant en marge et à la barbe des bateleurs et bricoleurs à peine naissants. Elle est, dès les années cinquante, la folle dans le grenier narratif, la souris dans le moulin à parlotte, celle qui pense en actes les noces un peu chiennes du récit et du poétique. Peu lue, peu commentée, à peine soutenue, elle fait de sa singularité un avant-poste à occuper par ceux qui viendront, qu’ils l’aient ou non découverte, et là n’est pas la moindre ironie de sa fortune contrariée.[…]"
C'est le début d'une postface que j'ai eu le plaisir de rédiger pour le roman d'Hélène Bessette
Si 
à paraître mercredi 1er février, donc demain, dans la collection LaureLi. Comme l'écrit son éditrice, Laure Limongi:
"Si est la suite de N’avez-vous pas froid et de la manière d’autofiction bessettienne. Après son divorce douloureux avec un pasteur, l’héroïne – ici nommée Désira – se retrouve seule dans un petit appartement, dans la France conservatrice des années 60. Une femme divorcée y est mal vue. Une femme divorcée qui reste célibataire et aime aller le soir au cinéma, encore plus. Bien décidée vivre sa vie comme elle l’entend – dans les limites de la bienséance –, Désira est l’objet des rumeurs les plus désobligeantes. On la pense femme de mauvaise vie multipliant les amants, avortée, alcoolique… elle qui ne cherche qu’à traverser la vie en respectant l’originalité anodine qui est la sienne. Elle se met donc à envisager le suicide comme seule issue possible. Le talent de l’écriture bessettienne évoque cette terrible idée avec l’humour noir qu’on lui connaît. Et le livre développe des scénarios de désespoir plus hilarants les uns que les autres, brocardant l’absurdité des conventions sociales, la bassesse des petits sentiments, la méchanceté commune de l’être humain. Martyre mais souveraine, Désira brille de l’éclat de la passion et de l’intelligence."

On peut lire un extrait de ce roman ici. Ou en entendre des passages, lus par Laure Limongi, ici, ici et ici.

En outre, Sophie Quetteville, de la librairie Le Genre urbain (60 rue de Belleville – 75020 Paris) m'a invité, ainsi que Julien Doussinault (biographe de Bessette) et Laure Limongi  à venir parler de l'auteur et de son œuvre à l'occasion de la parution de Si. Ça se passera le mardi 14 février 2012 à 20h.

lundi 30 janvier 2012

L'aventure c'est l'aventure


A 19h30, aujourd'hui lundi 30 janvier, soirée de lectures des Éditions Verticales autour des six auteurs à paraître au premier trimestre 2012, au Point Ephémère, 200 quai de Valmy, 75010, Paris.

Avec Isabel Ascencio (Drama queen), Arno Bertina (Je suis une aventure), Philippe Garnier (Babel nuit), Maylis de Kerangal (Tangente vers l’est), Noémi Lefebvre (L’état des sentiments à l’âge adulte) et Olivia Rosenthal (Ils ne sont pour rien dans mes larmes).
 
A noter également: Exposition Verticales dans l'Anthologue d'Isabelle Delatouche.

Isabelle Delatouche dans son "installation de littérature situationnelle" L'Anthologue, présentée au nouveau centre de création numérique Le Cube, propose au visiteur un parcours littéraire, qui se présente in situ sous la forme de codes QR à flasher... Une proposition de lecture qui fait sens ici et maintenant, avec des textes des Editions Verticales. (Le Cube, Centre de création numérique, 20, cours Saint-Vincent, 92130 Issy-les-Moulineaux).

Les fruits de la passation

Interviewé ce week-end par deux futurs Pulitzer du journalisme d'investigation, Nicolas Sarkozy a tenu des tas de propos judicieux et acidulés, dont celui-ci:

« La France est en grave difficulté et ce n’est pas l’arrogance de l’opposition qui va m’empêcher de la sortir de l’ornière en initiant des réformes douloureuses dont je ne serai peut-être même plus là pour  cueillir les fruits ― ce qui est bien la preuve de mon immense courage et de mon désintérêt pour ces dérisoires échéances électorales dont les Français se fichent."

Cette phrase mériterait à elle seule une nécropole. On se contentera de noter la louable abnégation d'un président qui aurait pu cueillir les fruits de "réformes douloureuses" mais préfère accepter l'éventualité de n'être plus en mesure de goûter la saveur desdits fruits à l'heure de leur maturation. Certes, on aurait pu croire qu'il revenait aux Français de jouir de ces mystérieux agrumes chus au sortir d'un enlisement dans une ornière dont notre sauveur les aurait arrachés – les Français, pas les fruits – au prix de "réformes douloureuses", mais en fait, non. Et soudain on comprend! Ceux qui bénéficieront de cette cueillette ne peuvent qu'être les "restaurateurs", puisqu'ils seront les seuls à ne pas pâtir de la hausse de la TVA. Le message serait-il crypté? Ne faut-il pas entendre, par "restaurateurs", les futurs artisans d'une "restauration" davantage politique que gastronomique? Mystère. De toutes façons, les "échéances électorales" sont "dérisoires" et Sarkozy s'en fiche. Apparemment, il n'y a pas que le courage qui est immense, dans cette histoire.

lundi 9 janvier 2012

Take shelter: Et une dépression, une !

Le film de Jeff Nichols, Take Shelter, est encore plus ennuyeux qu'une dépression filmée par un dépressif avec des moyens déprimants. C'est un film-métaphore, et qui hélas épuise sa forme dès l'annonce de ses contours: la dépression climatique que le personnage principal observe dans le ciel est le reflet (l'extériorisation? la projection? l'écho) de la dépression qu'il est en train de traverser. Le mécanisme est si simplet qu'il appelait une réalisation complexe, qui ne vient pas. Il ne s'agit que de ça, au final: d'un gros coup de mou vécu par un Américain moyen avec femme, enfant et chien. Curtis LaForche a du mal à communiquer avec ce qui l'entoure? C'est dommage. Sa fille aussi, d'ailleurs, qui est sourde et muette. Sa femme, elle, ça va, mais bon, elle brode des coussins, chacun sa pathologie. Un jour Curtis rate la messe. Aïe. Un autre jour, il se réveille après avoir fait pipi au lit. Ouille. Il ne doit pas aller très bien. Pourquoi? Un psy comprend tout: et votre maman, Curtis? Ah oui. Bon sang mais c'est bien sûr. La mère de Curtis a été diagnostiquée schizophrène paranoïde. Papa a fait ce qu'il a pu. Oh my god. On a donc une situation pré-apocalyptique hyper tendue, genre Curtis est pas sûr de vouloir aller à la kermesse du quartier, Curtis voit des signes partout (surtout des nuages qui font Bouh! et des oiseaux qui se prennent pour des grenouilles et tombent raides morts), Curtis construit un abri anti-tempête (il en a déjà un mais il en veut un plus grand — et là on comprend: ne serait-ce pas, ouh-là, un indice? ne voudrait-on pas nous dire, de façon hyper subtil, qu'il éprouve un sentiment d'insécurité? et que ce ce sentiment d'insécurité se traduit en fait par un besoin de se replier, de s'isoler? allô maman dolto?). 
Pesant comme une meringue à base de béton, simpliste comme un conte pour adulte, doté d'une musique arvo-partique allant crescendo et censée nous filer les jetons genre vous-avez-vu-Shining?, Take Shelter finit par être pitoyable. Les cauchemars de Curtis, dont il se réveille toujours en criant, en sueur, en se relevant brusquement, un peu comme dans les films, quoi, sont tellement téléphonés qu'on raccroche malgré soi. La métaphore empêche ici l'image de creuser des lignes de fuite. Car Curtis sonde littéralement le sol avec un ami coéquipier (ils forent!!!), alors que c'est du ciel que vient la menace. Evidemment, tout le monde l'a dit, la vraie métaphore, l'ultime, c'est l'américaine way of life. La peur recommencée de l'ennemi intérieur. La panique atomique. Qu'à cela ne tienne! Curtis achète des masques à gaz. N'en jetez plus, par pitié. On a compris. Pas une once d'humour, pas un poil de second degré, aucun recul: le film de Nichols avance comme une démonstration psy dénuée de toute profondeur. Tout signifie. Et ne signifie rien d'autre que le sens premier. La déprime est la déprime est la déprime.
Take Shelter se termine encore plus mal qu'il n'avait débuté. D'autres que Curtis (sa femme, sa fille, la caméra…) finissent par voir eux aussi la dépression sous sa forme extérieure et furieusement climatique. Ouh-là. Serait-ce à dire que personne n'est à l'abri? Notre dépressif (jouée par Michael Shannon, spécialisé dans les rôles je-suis-pas-normal-mais-je-le-sais) aurait-il eu raison de vouloir protéger les siens? La tempête arrive-t-elle pour de bon?? L'Amérique est-elle vraiment menacée? Va-t-il pleuvoir? Doit-on flipper? A-t-on eu raison de gazer les Irakiens? Interrogation. Questionnement. Bâillement, oui.
Toute cette histoire de tornade annoncée est, au final, presque comique d'ennui. Comme une énième version du Wizard of Oz, mais filmée par un œdipien triste et pataud. Dorothy est sourde et muette, le bonhomme en fer blanc rouille après avoir fait pipi au lit, on refile Toto au frangin de peur qu'il morde, la sorcière est schizo et internée – quant à l'épouvantail, eh bien ce doit être le spectateur, planté dans la salle, qui attend vainement autre chose que la promesse d'un grand coup d'aspiro.

jeudi 5 janvier 2012

Le Fil d'Ariane & Un Cœur simple: deux films de Marion Laine sur Arte en janvier

Vendredi 13 janvier, Arte diffusera deux films de Marion Laine

• Tout d'abord, à 14h45 le long métrage Un Cœur Simple, adapté du conte éponyme de Flaubert, avec Sandrine Bonnaire, Marina Foïs, Pascal Elbé, Bruno Blairet, etc. (Note : Un Cœur Simple passe également sur Arte deux jours plus tôt, le mercredi 11 janvier à 20h35).

• Puis, toujours le 13 janvier, à 20h35, Le Fil d'Ariane, adapté du roman de Maria Efstathiadi, Presque un mélo (Actes Sud). Produit par Scarlett Productions, sous la houlette de Florence Dormoy, Le Fil d'Ariane raconte les mésaventures sentimentales d'Ariane, une trentenaire qui travaille à l'agence «Love voyages», agence spécialisée dans les rencontres entre célibataires. Un soir, Ariane reçoit un appel d'un homme mystérieux, qui lui promet une année érotique inoubliable mais refuse de se dévoiler. Ce coup de fil est le premier d'une longue série. D'abord apeurée, Ariane se laisse peu à peu séduire par son mystérieux correspondant. Elle finit par son confier à sa collègue Dolorès, laquelle raconte à son tour tout aux autres collègues de l'agence. Comme au même moment, un serial killer sévit dans le quartier, Dolorès, Manu, Prosper et Estelle s'inquiètent pour Ariane. Mais celle-ci n'en a cure : elle veut à tout prix rencontrer son amant anonyme, qui se dérobe à chacune de ses tentatives. Jusqu'au jour où il n'a plus le choix...
On y retrouvera d'épatants acteurs, comme la pétillante Amandine Dewasmes (Dolorès), la formidable Anne Benoît (Estelle), l'inénarrable Richard Morgiève dans un rôle buster-keatonien  (Lépingle), mais aussi la décapante Mélanie Bernier (Manu), le lunaire Arié Elmaleh (Prosper), la fringante Julie Ferrier (Ariane), l'hilarant Romain Rondeau (Rémi Bélère) — et l'émouvant Bruno Blairet (Adrien). PLus quelques figurants légendaires : Aude Samarut, Elli Medeiros, Jérôme Dayre, Laure Limongi, Pacôme Thiellement, Mathieu Larnaudie, Marie-Madeleine Rigopoulos, Nathalie Lacroix, Marie Desmeures, Barbara Tajan, Louison, Martin, Robinson, etc.

Par ailleurs, Marion Laine vient de terminer le tournage d'un troisième long métrage, Un singe sur l'épaule, avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez, librement adapté du roman de Mathias Enard, Remonter l'Orénoque (Actes Sud). Sortie sur les écrans prévue en novembre 2012.

mardi 3 janvier 2012


"Rabelais, dit-il, est le premier écrivain à l’ère de l’imprimerie. De même que Luther est le dernier écrivain de l’ère manuscrite. Bien sûr, dit-il, sans l’imprimerie Luther serait resté un simple moine hérétique. L’imprimerie, dit-il, en ôtant la mousse à la surface de sa tasse, a fait de Luther le puissant qu’il devint mais c’était essentiellement un prédicateur, et non un écrivain. Il connaissait son public et écrivait pour lui. Rabelais, lui, dit-il en suçant sa cuiller, a compris ce que signifiait pour l’écrivain ce nouveau miracle qui était l’imprimerie. Ça signifiait que vous aviez gagné le monde et perdu le public. Vous ne saviez plus qui vous lisait ni pourquoi. Vous ne saviez plus pour qui vous écriviez ni même pourquoi vous écriviez. Rabelais, dit-il, trouvait ça insupportable, comique et délectable, tout ça en même temps."
(Gabriel Josipovici, Tout passe, éd. Quidam, à paraître 2012)

Tout passe

 
"Rabelais, dit-il, est le premier écrivain à l’ère de l’imprimerie. De même que Luther est le dernier écrivain de l’ère manuscrite. Bien sûr, dit-il, sans l’imprimerie Luther serait resté un simple moine hérétique. L’imprimerie, dit-il, en ôtant la mousse à la surface de sa tasse, a fait de Luther le puissant qu’il devint mais c’était essentiellement un prédicateur, et non un écrivain. Il connaissait son public et écrivait pour lui. Rabelais, lui, dit-il en suçant sa cuiller, a compris ce que signifiait pour l’écrivain ce nouveau miracle qui était l’imprimerie. Ça signifiait que vous aviez gagné le monde et perdu le public. Vous ne saviez plus qui vous lisait ni pourquoi. Vous ne saviez plus pour qui vous écriviez ni même pourquoi vous écriviez. Rabelais, dit-il, trouvait ça insupportable, comique et délectable, tout ça en même temps."
(Gabriel Josipovici, Tout passe, à paraître chez Quidam, trad. Claro)