lundi 28 mars 2011

Allocution + prise de position d'un majeur


"Culturo-Décideurs!

Vu la Conjoncture culturelle nationale, j'assume à partir d'aujourd'hui la direction du gouvernement de l’Impression. Sûr de l'affection de nos groupes de presse qui luttent, avec un capital digne de leurs fructueuses tractations nucléaires, contre un ennemi supérieur en pauvres et en religions. Sûr que par leur capitalistique obstination, ces légions ont rempli leurs devoirs vis-à-vis de nos clients. Sûr de l'appui des Intermittents de la Politique, que j'ai eu la fierté de suborner, sûr de la confiance du pseudo-lectorat tout entier, je fais à la France le don de ma biographie pour renflouer sa stupeur. En ces heures médiatiques, je conspue les pathétiques artistes qui, dans un dénuement mérité, souillent nos scènes et nos librairies. Je leur exprime mon mépris et ma haine-de-moi. C’est le cœur friqué que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser l’art. Je me suis adressé cette nuit au Patronat pour lui demander s'il était prêt à rechercher avec nous, entre commis, après le grand Bling-Bling, les moyens de mettre un terme aux fantaisies individuelles. Que tous mes électeurs se groupent autour du Gouvernement que je préside pendant ces épreuves boursières et fassent taire leur dettes pour n'écouter que leur foi dans le destin de la Communication."

Brzzzzttttzziiz… Ouf ! Ce n’était qu’un cauchemar… A l’heure où nous pressons, une douce musique sort des haut-parleur du Salon du Livre, et non ce discours imprésidentiable.

« J’veux qu’on s’amuse comme des fous » chiale la chanson.

C’est – chic ! – chose faite. Chaque stand va trinquer, à mots perdus. Les bios des politiputes se vendent à l’encan ? Tant pis donc tant mieux. Des académiciens trépassent : sabres au clair ! Les structures se restructurent : regroupons ! Les suppléments livres ne suppléent plus : publireportons ! On prime les prêteurs sur lettres : rien de neuf sous les spots. On compte sur Kindle pour tourner définitivement l’iPage de l’eBook : Big Google Is Watching YouTube… La diffusion interpelle la distribution qui contacte aussitôt le pilon : On en fait quoi de toutes ces palettes ? On reboise ?… Partout ça dédicace, ça récite, ça répond… partout des machines qui laissent à désirer… une vraie ministre en liberté pose en compagnie d’un faux écrivain apprivoisé… un patron de presse achète trois kilo d’auteurs sans gêne… un petit éditeur fait des cocottes en papier, qui s’envolent, mais pas sur les listes de best-sellers… on évoque un à-valoir joufflu comme un petit PNB… on décerne le Prix du Roman le Plus Primé de l’Année…à… un recueil de textos téléchargeables… Salon ou les 120 heures… So sad…

Et pendant qu’on numérise, pendant qu’on rachète, pendant qu’on parle avec la caisse, quelque part, un index enfonce des touches qu’on dirait usées – tandis que son plus proche voisin, le majeur, se dresse, humecté juste ce qu’il faut, et pas que pour sentir d’où vient le vent.

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