lundi 30 août 2010

Legrand piromane


S’agit-il vraiment, ainsi que l’affirme non sans goujaterie et opportunisme le très cursif quatrième de couverture, d'un « polar suédois à fortes résonances sociales » ? Le doute subsistera sans doute, tel un sel mal léché sur une peau soustraite aux flots, même après la millénième relecture. Ce qui est certain, en revanche, c’est que Le Dictionnaire du pire est un des rares livres où l’on trouve dans la même page le mot « oignon » et l’adverbe « nuement », où le préfacier préface l’introduction, où l’introduction, par un subtil effet mimétique, adopte l’apparence d’une introduction, et où tout ce qui est odieux est, faut-il le déplorer ?, juste. L’auteur, Stéphane Legrand, dont l’éditeur se garde bien de nous vanter les fiers antécédents foucaldiens, s’est fixé pour objectif non l’immensité arrogante de l’infiniment grand (ciao Copernic), non l’âpre sournoiserie de l’infiniment petit (fuck Microcosmos), mais l’infiniment moyen, autrement dit, à mi chemin entre Bierce et Lichtenberg, la sphère quasi clinique de l’humainement déplorable. Livre à la fois injuste et inique, farci de formules souvent aussi acérées qu’un éperon de gaucho et doté d’un sens totémique autant qu’alphabétique des choses en soi et pour soi, l’ouvrage de Legrand, tour à tour prophylactique et messianique, tentaculaire et médiumnique, sibyllin et foutraque, s’efforce de contenir l’ensemble des méconnaissances humaines assorties d’un jugement qu’on qualifierait aisément de péremptoire s’il était encore possible, après lecture de ce livre, de porter des jugements péremptoires. Soyons clair, à défaut de limpide : Legrand est un poète, si l’on veut bien entendre par ce terme galvaudément corrodé, un mixte réjouissant de freak hâbleur et d’aède pornographe. Ses définitions sont en réalité, ainsi que l’indique d’ailleurs leur nom, une façon de défaire la finition des mots, en en extrayant et la médiocre vérité et le charme immanent. Ainsi, dé-finissant « l’eau », Legrand écrit :
Liquide incolore et insipide dans lequel, au réveil, on fait fondre l’aspirine. Elle est avantageusement remplacée par le mal de crâne.

Certes il y a un côté Chamfort chez Legrand, par exemple quand il a le culot d’avouer qu’un écrivain est un individu qui s’attire les faveurs des femmes en décrivant leurs bassesse. Certes, son propos confondrait parfois les exégètes les plus rodés aux extrapolations, comme quand il explique que le général De Gaulle est une icône gay. Certes, il lui arrive de déraper, ainsi quand il décrit Hegel comme un « Fukuyama non subventionné par la CIA ». Mais dans l’ensemble, et dans ses parties, ses intuitions font mouche, que dis-je ?, sont des mouches venues se poser sur notre entendement pour changer ce dernier en vibrante vanité crépusculaire. On trouvera donc dans ce vade-mektoub désenchanté des pépites susceptibles de causer d’étranges caries mentales (« Labial : qui a rapport avec l’organe de la fellation et du mépris »), des formules qui renvoient l’alchimie à ses origines masturbatoires (« Boucles d’oreille : Partie de l’épouse qui remue durant le coït »), des constats auxquels aucun accident de la route ne nous avait préparés (« Déclin : retour à la normale »), des intuitions peu contestables (« Foule : prolongement naturel de la baïonnette »), des vérités cruelles (« Inné : acquis par des moyens douteux »), etc.

Je dis « etc » mais je pourrais tout aussi bien dire « bis repetitas », tant ce DDP (puisque c’est ainsi que l’acronymique postérité retiendra gimmickement son titre) semble inépuisable et ce bien qu’ancré dans la lie de l’épuisement. A ceux qui hésiteraient encore à réunir la modeste somme de 18 euros nécessaire à l’acquisition immédiate et honnête de ce « must », je dirai deux choses : Primo, vous ne serez pas déçu, pour la bonne raison que la déception, Legrand s’en est occupé largement bien avant vous, en en faisant l’acide jubilatoire où baigner ses pensées ; deuxio, sa lecture vous donnera le sentiment d’être à la fois intelligent (au sens où Flaubert entendait la bêtise) et foutu (cf. la définition du mot « espoir »). A la fois impropre à la consummation dans les siècles des siècles et bon pour la balbutiante boucherie du bonheur.

Bien sûr, il serait intellectuellement maculatoire de cacher sous silence le fait que ce dictionnaire ne se laisse pas réduire à la fonction encyclopédique, puisqu’il contient, interlardés ci et là, des digressions adventices d’une incomparable fraîcheur, à la limite de la parabole et du koan. Enfin, je finirai par la définition que nous donne, non, que nous flanque en pleine gueule Legrand, et qui je crois devrait achever de lui rallier les derniers réfractaires :

« Style : Elément dont l’absence rend supportable l’ineptie des écrivains actuels en nous dispensant d’avoir à les lire. »

Muni de cet ouvrage, donc, et de cette définition-tamis, n’hésitez pas à faire gaiment votre shopping dans les rayons de la rentrée littéraire. Croyez-moi, si Legrand s’appelait Lepetit, ça se saurait.

(Ah, une ultime remarque. Le premier mot du dictionnaire est « absurde », le dernier « youpi ». Entre ces deux colonnes, Hercule à grands pas.)

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Stéphane Legrand, Dictionnaire du pire, éd. Inculte, 18 €

1 commentaire:

  1. http://ohmaman.blogspot.com/30 août 2010 à 16:49

    merci j'ai tout de suite envie de l'acheter, et ensuite de le lire!

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