lundi 18 janvier 2010

Dans la cour d'écran

Quand Le Monde II s'intéresse au numérik, nous devenons tous des Monsieur Jourdain se découvrant propriétaire d'un computeur. Aussi est-ce avec un intérêt certain que nous apprenons, en lisant le dernier post amusé de François Bon, que ledit magazine s'est fendu d'un questionnaire, comportant quatorze questions. On a envie de répondre audit magazine que, oui, effectivement, le dernier Amstrad est déjà sorti et que le jeu Pacman a modifié notre appréhension de la pétanque…
La première question est l'équivalent digital d'une tarte à la crème sans crème dont on aurait oublié la pâte :
"Les nouvelles technologies (traitement de texte, internet, smartphone…) ont-elles modifiées (sic) vos habitudes de lecture et d’écriture ?"
Elle est suivie d'un corollaire incroyable:
"Si oui de quelle manière ?",
lui-même doté d'un appendice fabuleux:
"Cela a-t-il eu une influence et/ou incidence sur votre écriture ?"
Il était temps que ce tabou soit tripoté, franchement. J'aime beaucoup d'ailleurs la nuance supposée entre influence et incidence. Un peu comme si, après vous être pris un pain dans la gueule, on vous demandait si vous souffrez ou si vous avez mal. La subtilité est décidément un art… subtil. Autre question, assez confondante:
"L’écran ne constitue-t-il pas une distance physique entre vous et votre texte ?"
On a envie de répondre que non, pas du tout, mais que quand même c'est fou comme on se cogne la tête chaque fois qu'on essaie de passer de l'autre côté…
Comment se fait-il qu'après toutes ces années enchaînés aux claviers, on puisse encore se poser naïvement la question des perturbations ? Certes, il est toujours bon d'attendre un peu avant d'essayer de repérer les changements induits par un changement de médium. Mais tout ça ne date quand même pas d'hier. Ce qui est susceptible d'intérêt, ce serait, ne serait-ce pas plutôt ?, la façon dont celui qui écrit transforme tout support à son avantage, le rend malléable, invisible, à la fois aussi abstrait qu'un plan et aussi concret qu'une peau. Cette façon de traverser l'apparence de l'apparence, de rendre organique le mécanique (ce qu'on fait déjà d'entrée de jeu avec le corps, rappelons-le). Jean Genet écrivant sur des sacs en papier dans sa cellule, Artaud scarifiant son billot, Richard Powers dictant couché à son PC à reconnaissance vocale, etc. Ecrire sur de l'horizontal, du vertical, du transparent, de l'opaque… (peindre avec ses pieds…)… réveiller l'encre sympathique avec l'ampoule du regard critique… s'enfermer dans la mitraille de l'Olivetti, le bourdonnement de la machine à boule IBM, l'éclat de l'écran à cristaux liquides… Questions: le clavier alphabétique du Minitel a-t-il modifié votre rapport à la drague? La lenteur de vos premières connections internet a-t-il nui à votre envie d'acheter des godemichés en ligne? Le Bic qui fuit a-t-il pourri l'écriture de vos poèmes acnéiques?
Mais peut-être ne faut-il pas tordre le nez et se réjouir de voir l'empire du papier se pencher sur nos petits moulins à octet? Ou bien faut-il poser la question suivante: "L'écriture ne constitue-t-elle pas une distance physique entre vous et votre texte?"
Ou mieux encore: "La distance physique ne constitue-t-elle pas une écriture entre vous et votre texte?"
Voire: "Le texte ne constitue-t-il pas un 'vous' entre la distance physique et l'écriture?"
Mais on risquerait peut-être alors de donner la réponse…

1 commentaire:

  1. C'est un faux débat. Les écrivains, les vrais, ceux de Saint-Germain-des-Prés, n'utilisent pas cette technologie high-tech en diable.
    Ils dictent leurs textes à des gens qui les retranscrivent pour eux, qui parfois les pensent pour eux, voire (c'est ce qu'on dit, moi j'en sais rien) qui les écrivent pour eux.
    Et quand il y a trop de Tipp-Ex sur l'écran, ils en changent (d'écran, pas de gens. Quoique…).

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