vendredi 22 juin 2007

Le cœur d'amour épris


Une "nouvelle" que j'ai écrite et qui a paru dans le plaisant magazine Krabo il y a quelque temps…





LE CŒUR D'AMOUR EPRIS




dimanche 7 août, 21h10

Sa pine, dure à jouir, va plus qu'elle ne vient, cassant, taillant, bavardant en somme. L'ennui rend sa peau imperméable à la pitié. Le cul mordu par le vent, il n'écoute que le cliquetis de son ceinturon sur les graviers du terrain vague et le bruit de sa graisse sur le ventre de la fille. Le bâillon, imbibé de colle de térébenthine, lui pique les yeux. La fille hoquette, comme sous le plaisir. Il soulève un peu sa masse pour mieux voir sa queue disparaître entre les poils blonds et la bordure rouge du slip. Un peu trop près, des oiseaux donnent des coups de bec dans la rouille amassée sur les jantes, les bidons, les téléviseurs. Agacé, il se dégage. Le ciel au-dessus de lui est de glaise, prêt à couler. Il retourne la fille. Le dos de sa robe bleue, incrusté de gravillons, est indéchiffrable. Il la force avec douleur.
Que faire contre l'ennui ? Telle est la question qui l'a conduit ici.


samedi 6 août, 23h15

Il n'a pas l'habitude d'écrire. L'unique stylo-bille de la maison est sec. Dans la penderie, sur une étagère, il retrouve la machine à écrire du père. Il met du temps à insérer une feuille dans le chariot. Les tiges se bloquent, le ruban bave. Il transpire. Je t'ai vue à la boutique de Marc. Les lettres sont grises, les lignes de longueurs inégales, sans cesse interrompues par la clochette. Il recommence au verso de la même feuille. Je t'ai vue à la boutique de Marc…
Il a mal aux doigts. Il n'aime pas perdre son temps. Pas comme ça en tout cas.


dimanche 7 août, 20h18

Elle est seule, sur un banc, à une centaine de mètres de sa voiture qui ne veut plus démarrer. Elle jette parfois un cri, qui se confond aussitôt avec la note haut perchée d'un véhicule surgissant du tunnel. La bride gauche de sa robe bleue pend sur son sein. De l'autre côté de la route, des cyclistes discutent entre eux en faisant des grands gestes. Leurs mufles gris en plastique étouffent leurs paroles. L'un d'eux s'avance vers la fille, mais il est retenu par le bras, au niveau du coude. Il renonce, et finalement le groupe s'éloigne en pédalant par à-coups.
Elle laisse sa tête aller entre ses jambes et contemple le triangle de terre battue entre ses pieds qui forment V. Un éclat de verre jaune pâle luit entre deux cailloux. Quand elle entend la voix de l'homme, quelque chose s'enracine dans son ventre comme au jour de ses premières règles. C'est un ami de Marc, elle ne l'a vu qu'une fois mais il ne lui a pas plu du tout.


vendredi 5 août, minuit

La mousse finit par se disperser. Entre les îlots blanchâtres, du rose apparaît, tremble – d'abord deux genoux, puis les tétons, les poils roux et tassé, l'ovale du ventre, la bite. Il sourit. L'eau est brûlante.
Le téléphone sonne, une première fois dans la télévision, puis sur la petite table basse à côté de la télévision. Les deux sonneries se chevauchent. Quand elles sont sur le point de se confondre, l'une d'elle s'interrompt.
Il fait couler un peu d'eau froide, prend le savon, qui lui échappe des mains et glisse tout contre le tas de vêtements sales. L'autre sonnerie se tait.


dimanche 7 août, 19h50

Accroupie, son gros cul posé sur ses talons, elle introduit la clef dans la serrure installée tout en bas de la porte vitrée. Elle trouve soudain cette position si humiliante qu'elle se demande s'il n'y a pas, dans la conception des portes de magasin, une certaine méchanceté préméditée par les patrons. Sa robe, qu'elle a négligé de remonter au-dessus de ses genoux, se tend sur ses jambes pliées. Elle sent ses cuisses s'écraser l'une contre l'autre. A l'intérieur du magasin, le téléphone sonne. Elle lève les yeux. Derrière la vitrine, les mannequins tremblotent dans les flammes. L'alarme ne s'est pas déclenchée.
Trois mille six cent sept francs: c'est la recette de la veille. L'incendie, c'est juste la colère.
Sa voiture est garée devant le magasin. Elle n'allume pas les phares quand le bruit du moteur recouvre ses pensées.


jeudi 4 août, 13h15

Tous mangent. Tous ont faim. Celui-ci offre ses lèvres à sa serviette. Celle-ci fait saigner une chair pourtant blanche. Les nappes sont tirées, lissées, les verres basculent, se remplissent, une silhouette se baisse, une autre tourne sur elle-même, la porte ne cesse de s'ouvrir et de se fermer. Personne ne remarque la flaque de sang en forme d'as de pique au pied de son voisin de table; le boudin à peine entamé refroidit dans son assiette.
Il a eu l'impression que le couteau poussait son manche entre ses doigts serrés puis filait de lui-même vers la gorge de ce vieux bonhomme qui mastiquait trop bruyamment à son goût. Il est parti sans se retourner, sans laisser de pourboire, sans penser à mal.
Mais l'agacement est toujours là, qui presse son pas.


dimanche 7 août, 18h05

Elle lève le rideau de fer, se baisse, déverrouille la porte vitrée, se redresse, pousse la porte, la referme. Une heure pour déshabiller tous les mannequins, dans l'obscurité. Vingt minutes pour les asperger d'essence. Puis encore dix minutes, recroquevillée derrière la caisse, à marmonner, le briquet à la main, la lettre de Marc froissée et pressée contre son nez à la manière d'un mouchoir. J'en ai marre de baiser une grosse conne. Tout d'abord, elle ne reconnaît pas l’écriture de Marc, puis elle s'aperçoit qu'elle n'a jamais eu l'occasion de la voir. La seule lettre. Trois lignes au stylo vert, glissé dans la poche de sa veste, à son insu, pendant qu'elle souriait sur le bidet, sûrement. Elle le revoit bander, ne comprend pas.
Marc est son patron, il est marié, la photo de sa femme est punaisée au-dessus de l'emploi du temps des vendeuses. Elle n'est jamais venu au magasin, mais elle appelle toujours à la même heure, avant le repas de midi. Sa voix est presque inaudible.


dimanche 7 août, 11h15

Marc l'ennuie. Ses exploits sexuels l'ennuient. C'est son seul ami. Il ne l'aime pas. Vautré sur le canapé, il l'écoute commenter les informations. Le taux de pollution a dépassé le seuil d'alerte. Les voitures immatriculées impair ne doivent pas circuler. Le vélo est recommandé. Les enfants n'iront pas dans la cour de récréation. Marc va dormir là. Ça ne lui plaît pas.
— Ça ne te dérange pas ?
Il ne répond pas. Il va chercher dans la penderie la balle de tennis avec laquelle jouait son chien avant de se faire écraser. Quand il revient, Marc somnole, la bouche grande ouverte, une canette de bière vide coincée entre les cuisses. Il lui flanque un coup de botte dans la tempe, Marc s'écroule sur le lino. Il pousse alors la balle jaune entre les dents de Marc. Puis il le regarde crever lentement.
L'agacement persiste. Il ôte le short de Marc, découpe le slip avec un cutter. Il a du mal à bander. C'est la première fois qu'il veut enculer un homme. Au moment de le pénétrer, il entend des cris d'enfants dans la cour d'école qui jouxte son immeuble. Il ne comprend pas.
Il se rhabille et finit à contrecœur la bière de Marc.


samedi 6 août, 15h

C'est la première fois que Marc la baise dans une chambre d'hôtel. D'habitude, c'est dans l'arrière-boutique, entre les cintres, près du compteur électrique qui tourne toujours trop vite à son goût. Ils n'ont même pas défait le lit. Marc la prend contre la porte de la penderie. Par la fenêtre ouverte, elle aperçoit un ouvrier qui mange un sandwich sur le toit. L'homme les observe peut-être. C'est fini, Marc se retire, remonte son pantalon. Pendant qu'il regarde la télévision, elle va s'enfermer dans la minuscule salle de bains. Le bidet est d'un blanc immaculé, qui jure avec les traînées brunes sur les murs. Elle a apporté son propre gant de toilette, qu'elle roule, tout humide, et glisse dans une pochette en plastique avant de l'enfouir tout au fond de son sac à main.
Si elle a joui, elle l'ignore. Mais pendant trois minutes elle a oublié un nombre considérable de choses.


mardi 2 août, 7h45

Il est chez lui. Il s'ennuie. Il pense à elle, mas il s'ennuie quand même. Le bruit du frigo l'agace. Les taches sur le lino ne cessent d'attirer son attention. Il joue avec son couteau, le plie, le déplie, le range dans sa poche, se rend dans la cuisine et ouvre en grand la porte du frigo. Le bruit est encore plus aigu.
Il allume la radio. On parle de la vague de chaleur, de la pollution, des bouchons sur les routes. Quand il se penche pour éteindre le poste, sa main est si moite que l'appareil lui échappe et tombe par terre. Il sort acheter de la bière.


dimanche 7 août, 20h 15

Tous ces cyclistes lui font peur. Leurs roues tournent dans le mauvais sens, ils semblent ne pas remarquer ses tentatives pour les doubler, le tunnel n'en finit pas. Elle baisse sa vitre, suffoque, ne se rappelle plus comment on actionne le klaxon.
Le groupe de cyclistes paraît se figer quand elle les dépasse, après un violent coup de volant à droite.
Quelques mètres plus loin, au sortir du tunnel, elle pile, arrache la clé de contact et sort du véhicule.


lundi 1er août, 18h30

Il n'ose pas lui parler et, s'il a envie de la suivre, n'en fait rien. Il pourrait lui écrire, mais il n'aime pas ça. La ville est étouffante. Ses yeux piquent. Marc lui a emprunté son vélo sans lui demander son avis. Il ne prend plus aucun plaisir à se boire et à se branler. Son père l'appelle trois fois par jour depuis un mois pour qu'il vienne dîner à la maison.
Dimanche prochain, il ira peut-être à la sortie du tunnel, près du terrain vague. Comme tous les dimanches soirs il la regardera s'éloigner au volant de sa voiture, comme tous les dimanches soirs elle ne le remarquera pas. Il ne l'a vue qu'une fois dans la boutique de Marc, mais elle lui a plu. Elle ne travaille que le dimanche, seule, au noir.
Il pense également qu'avec la chance qu'il a, la pollution sera telle qu'elle n'aura peut-être pas le droit de prendre sa voiture, immatriculée impair.
Mais si elle passe devant lui, il lui fera signe. Elle s’arrêtera. Sûrement. Il pourra alors lui parler. C’est la seule chose qui lui importe : parler.

1 commentaire:

  1. À vice à la popu lasse de ne pouvoir trouver le magazine, donc contrainte à ses yeux défendants de se passer des superbes illustrations accompagnant cette nouvelle : je l'ai en pdf.
    Just ask.
    Pour ce faire, cherchez ILV Experience, nos auteurs, g@rp, contacter l'auteur...

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